Maurice Maeterlinck
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Écrivain belge de langue française (Gand 1862 – Nice 1949).
Ce Gantois, nourri d'une culture cosmoplite (la Bible, Poe, Shakespeare et les élisabéthains, les romantiques allemands, les mystiques...), se consacre vite à la seule littérature, accompagnant le climat de renaissance des lettres belges des années 1880. Hostile à l'héritage classique français, mais fervent, par contraste, des littératures dites « germaniques », il va traduire Ruysbroeck, puis Novalis, faisant précéder chaque traduction d'une longue préface-manifeste. En 1889, Serres chaudes, alternant vers libres et réguliers, attirent l'attention. Cette introspection hallucinée ramène en surface de fulgurantes images. Les poèmes en vers libres, surtout, juxtaposent et réfractent des visions insolites, parfois pré-surréalistes. Au xxe siècle, toute une modernité poétique puisera (clandestinement ou explicitement) à cet arsenal si neuf. Mais c'est son premier drame (la Princesse Maleine, 1889) qui « lance » l'écrivain ; un dithyrambe de Mirbeau déclenche un élan de curiosité dans les milieux littéraires parisiens. Bien que par principe rebelle à l'idée de représentation concrète, Maeterlinck confie l'Intruse (1890) au Théâtre d'Art de Paul Fort, qui la monte en 1891, avant d'en faire autant des Aveugles (1890), aidé de Lugné-Poe. Paraissent encore les Sept Princesses (1891) et « Trois petits drames pour marionnettes » (Alladine et Palomides, Intérieur, la Mort de Tintagiles, 1894), témoins d'une écriture originale suggérant la présence d'« énormes puissances, invisibles et fatales ».
Mais le triomphe vient surtout couronner Pelléas et Mélisande, publié en 1892, monté par Lugné-Poe à l'Œuvre en 1893 : une trame mélodramatique immémoriale se change insensiblement en quête hagarde de la vérité métaphysique. La course des personnages, égarés dans le labyrinthe de leur destinée, symbolise l' exploration éperdue de l'inconscient. Ce chef-d'œuvre de fascination tragique donne au théâtre symboliste ses lettres de noblesse. En 1902, Claude Debussy tirera de la pièce son drame lyrique, contribuant hélas à faire oublier l'apport propre au génie maeterlinckien. Fauré, Sibelius, Schönberg s'inspireront à leur tour de Pelléas. Pour d'autres compositeurs, Maeterlinck écrira les livrets de Sœur Béatrice et d'Ariane et Barbe-Bleue (1901).
L'influence des philosophies d'Hartmann et de Schopenhauer est encore sensible dans ce théâtre des années 1890, mais les considérations morales et philosophiques du Trésor des humbles (1896) tentent de la dépasser : Emerson, Platon, Plotin, Carlyle font désormais partie de l'horizon spirituel de l'écrivain, qui accompagne le renouveau vitaliste du mouvement symboliste lui-même.
Avec Aglavaine et Sélysette (1896), Maeterlinck semble envisager une sorte de réconciliation. L'essai la Sagesse et la Destinée (1898) trahit un penchant à la réflexion métaphysique qui ne fera que s'accentuer dans le Temple enseveli (1902), le Double Jardin (1904), la Mort (1913), l'Hôte inconnu (1917), le Grand Secret (1921). La nature inspire d'autre part à cet amateur des ruches et des jardins sinon de véritables travaux d'entomologiste (la Vie des termites, 1926 ; la Vie des fourmis, 1930), du moins des chefs-d'œuvre d'observation et de description poétique (l'Intelligence des fleurs, 1907), où il est question de l'observateur autant que de l'observé. La Vie des abeilles (1901), surtout, atteindra des tirages exceptionnels tout au long du xxe siècle, contribuant à la légende de l'écrivain-apiculteur. Après le succès d'un drame historique, Monna Vanna (1902), il atteint la gloire universelle grâce à une féerie allégorique, l'Oiseau bleu, écrite en 1906, créée au Théâtre artistique de Moscou en 1908, publiée en 1909. Ce voyage merveilleux de deux enfants à la recherche de l'Oiseau bleu du bonheur, quête initiatique au symbolisme faussement naïf, connaîtra plusieurs versions cinématographiques. En 1911, le prix Nobel couronne cette carrière à son apogée.
La Première Guerre mondiale suscite chez Maeterlinck un élan patriotique (les Débris de la guerre, 1916), lui inspirant un drame (le Bourgmestre de Stilmonde, 1919). Les Fiançailles (1922) sont une suite de l'Oiseau bleu ; mais ni les pièces suivantes (la Princesse Isabelle, 1935), ni les nombreux essais métaphysiques publiés entre les deux guerres, sa « suite pascalienne », n'atteignent à l'originalité des débuts.
Magnifiquement servie aujourd'hui par des metteurs en scène comme Henri Ronse ou Claude Régy, l'œuvre de Maeterlinck est loin d'avoir encore livré toutes ses richesses. Constamment « redécouverte », elle semble offrir un miroir inédit à chaque génération.