Joë Bousquet
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Écrivain français (Narbonne 1897 – Carcassonne 1950).
La poésie ne se limite pas pour lui à un seul genre mais, en transcendant les limites, se dirige vers d'autres versants de la création. On distingue le pan romanesque de son œuvre du reste de sa production. L'un et l'autre sont reliés par les mêmes enjeux, établissant un domaine propre où réalité et rêve semblent se confondre. C'est par essence, à l'écoute du silence, que sa phrase si reconnaissable est poétique, alors même que se met en place un enjeu de la poésie comme réalité suprême, comme lien entre les profondeurs du sujet et les racines mystérieuses de l'être, fût-ce pour en établir le divorce. Même inaboutie, cette quête est d'ordre mystique. Elle pose les choses en terme de liens ou au contraire d'obstacles. L'homme Bousquet, ami d'Ernst, d'Éluard, attentif à Nelli, à Paulhan, devient écrivain via un fait biographique déterminant : une blessure à la Grande Guerre qui le laisse paralysé à vie et lui interdit de jamais faire de la mort (pensée, méditée, écrite enfin) une abstraction (Il ne fait pas assez noir, 1932).
Sa situation est alors exceptionnelle. Bousquet passera le reste de sa vie couché, multipliant lettres (Lettres à poisson d'or, 1967 ; Correspondance, 1969) et œuvres. L'écriture lui donne une colonne vertébrale d'encre alors que la thématique du corps et de la corporéité se révèle centrale.
La Tisane de sarment (1936) marque le début de son intense production romanesque (trois titres paraissent en 1939), où la trame se resserre et permet de relier poésie et amour, établissant leurs liens nécessaires. Dans Traduit du silence (1941), son chef-d'œuvre, qui vaut comme art poétique, l'auteur se donne à nu. Il initie un montage et une mise en intrigue des notes de son journal (« le journalier ») où la parole, si elle fore une même thématique, se densifie par une qualité étonnante de présence, prolongée dans Meneur de lune (1946). C'est une voix proche que l'on croirait entendre. Comme chez Valéry, le cahier est à portée de main et, ici, de cœur. En 1947 paraît la Connaissance du soir, recueil poétique au titre claudélien et conçu comme ensemble de poèmes à forme fixe. À la fin des années 1940, dans ce « soir » initié si tôt chez lui, et où le nom de Dieu se retrouve, le conte lui fournit un autre espace textuel, une virtuosité toujours nouvelle traduisant une vie justement définie comme une « suite de fables », ce dont témoigneraient Fruit dont l'ombre est la saveur (1947) ou Mal du soir (1952). Réédités en œuvres romanesques complètes, ses romans sont marqués par une trame narrative difficile à établir, obéissant sans doute à la logique du songe, du désir, de l'amour surtout, leur fil de sang. D'abord sensible au surréalisme dont il est l'exact contemporain, il évolue vers un chant amoureux global. Il y a chez lui une religion de l'amour et de certaines de ses marges noires tel l'érotisme, exacerbé du fait même de son impossibilité. L'expérience du corps crée un corps d'encre aussi bien que de songe. Il s'agit pour Joë Bousquet de « changer sa vie (...) lui restituer sa fraîcheur devant le jour, comme pour n'y sentir que la grâce et le don ». L'écriture est l'enjeu d'une visée profondément personnelle, envoûtante, faisant, à ce titre, de Bousquet un auteur densément illustratif de la modernité.