Jean Genet
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Écrivain français (Paris 1910 – id. 1986).
Né de père inconnu, Genet est abandonné par sa mère, confié à l'Assistance publique, puis placé chez des paysans du Morvan (1918). En 1920, accusé de vol, il est envoyé à la maison de redressement de Mettray, s'en évade dix ans plus tard et s'engage pour cinq ans dans la Légion étrangère, ne tardant pas à déserter pour mener une vie errante (de 1930 à 1940) à travers l'Europe des ports et des bas-fonds (Barcelone, Tanger, Rome, Naples, Anvers). Emprisonné à Fresnes, il se met à écrire, poèmes et romans, à partir de ses expériences et de ses amours homosexuelles, la fonction de la poésie ayant été longtemps pour lui la transformation, par le truchement du langage, d'une matière réputée vile en un matériau considéré comme noble. C'est en 1942 que paraît son premier texte, le Condamné à mort, et, en 1944, sa première pièce, Haute Surveillance, écrite à la prison de la Santé. Suivront Notre-Dame des Fleurs (1944), Miracle de la rose (1946), Pompes funèbres, Querelle de Brest (1947), le Journal du voleur (1949). Entre roman, journal, poème et autobiographie, ces livres rédigés dans l'urgence de l'expression imposent l'image d'un écrivain qui revendique sa marginalité sociale et sexuelle. Le style, d'une somptuosité baroque qui frôle parfois la préciosité maniériste, transfigure toutes les formes de la transgression que chante l'auteur. Le mauvais garçon devient personnage à la mode, soutenu par Cocteau aussi bien que par Sartre : argument de ballet ('Adame miroir, 1948), essai (Lettre à Leonor Fini, 1950), film (Un chant d'amour, 1950, dont la diffusion demeure clandestine), articles (le premier étant consacré à Jean Cocteau). Mais une fissure apparaît, et une « détérioration psychologique », à partir de la publication de l'essai que Sartre lui consacre en 1952, démontant, dans sa psychanalyse existentielle, les mécanismes de sa personnalité et de sa création : Saint Genet, comédien et martyr (premier volume des Œuvres complètes chez Gallimard) devient pour Genet un trop fidèle miroir dans lequel il se trouve piégé. En même temps que son œuvre est publiée « officiellement », et qu'il est, de ce fait, condamné à diverses reprises pour « attentat aux mœurs et pornographie », il délaisse alors la prose pour le théâtre. Il est joué par quelques-uns des plus grands metteurs en scène de l'époque. Ainsi, le Balcon, dont la première version date de 1956, est créé en anglais par Peter Zadek en 1957 ; Peter Brook crée la première version en français au théâtre du Gymnase, en 1960. Genet y donne, dans le lieu clos qu'est le bordel, une image sans fard de la société : l'évêque, le juge, le général, face à la révolution, se montrent tels qu'ils sont, des pantins, des rôles. Les Bonnes, inspirées très librement du fameux crime des sœurs Papin dans les années 1930, comportent aussi deux versions (1947, 1958), mises en scène par Louis Jouvet à l'Athénée en 1947, par Tania Balachova à la Huchette (1954), par le Living Theatre à Berlin (1965). Les Nègres (1958) sont créés par Roger Blin, en 1959, au Théâtre de Lutèce. Les Paravents (publiés en 1961) sont créés en allemand par Hans Lietzau à Berlin, puis mis en scène par Roger Blin au Théâtre de France en 1966, provoquant un énorme scandale dans une France encore traumatisée par la guerre d'Algérie. Trois « textes balises » – Comment jouer le Balcon (1962), Comment jouer les Bonnes (1963), Lettres à Roger Blin en marge des Paravents (1966) – apparaissent comme les textes théoriques majeurs du théâtre contemporain. Genet y analyse sa conception du théâtre comme métaphore vertigineuse de la vie et de la société : entre l'acteur, le comédien, le rôle qu'il joue et le spectateur, y a-t-il une autre vérité que celle du créateur ? Pour les Nègres, il recommande aux acteurs noirs de jouer des Blancs jouant à représenter des Noirs... seule façon de dénoncer la terrifiante comédie du colonialisme et du discours bien-pensant chargé de le légitimer. Les bonnes jouent à être Madame terrorisant les bonnes... jusqu'à la révolte de celles-ci et au crime. Genet évolue ensuite vers une écriture encore plus directement engagée, intervenant par des articles de presse (sur le Viêt Nam en 1968, sur les Black Panthers américains, sur les immigrés en 1974, sur les massacres de Sabra et Chatila en 1982, qui déclenchèrent la rédaction de son dernier livre Un captif amoureux [posth. 1986]) et des conférences, prenant position en faveur des marginaux, des bannis, des opprimés. Solitaire et disponible, il se voulait sans autre adresse fixe que celle de l'éditeur de ses Œuvres complètes, malgré le Grand Prix national des Lettres qui le couronna en 1983.