Friedrich Hölderlin
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Poète allemand (Lauffen 1770 – Tübingen 1843).
Issu d'une lignée de pasteurs luthériens, il était dès l'enfance destiné à embrasser la carrière pastorale. Après de fortes études classiques et théologiques au grand séminaire de Würtemberg, il perd la foi et se fait précepteur. En France éclate la Révolution, dont il espère qu'elle gagnera l'Allemagne. Il compte y participer à sa façon, en prêchant la religion nouvelle, qui sera la religion poétique. Le lyrisme ne touchant qu'un public restreint, il entreprend un roman lyrique par lettres, Hypérion ou l'Ermite de Grèce, d'abord publié en fragments dans la revue Italia en 1794, et destiné à populariser ses idées, ses visions d'avenir. Il va de préceptorat en préceptorat, en Thuringe d'abord, puis à Francfort, dans la famille du banquier Gontard. Là, il s'éprend de la femme du banquier, Susette : c'est elle qu'il chantera sous le nom de Diotima, la prêtresse qui, dans le Banquet de Platon, instruit Socrate du caractère divin de l'amour. C'est pendant cette période heureuse qu'il achève et publie la version définitive d'Hypérion (1797-1799) : le héros, Hypérion (du nom d'un Titan de la mythologie classique), est un jeune Grec, né vers 1750, qui veut libérer sa patrie du joug turc et y instaurer une communauté généreuse, ayant retrouvé le sens de la nature et du sacré, inspirée de ce que rêvait la Révolution française à ses débuts ; la femme aimée, Diotima, partage son enthousiasme. Hypérion prend part à des combats de partisans, est grièvement blessé à la bataille de Tchesmé (1770). À la suite de l'échec de ses aspirations et de la mort de Diotima, il se retire dans une île où il vit en ermite, au rythme des saisons, à la recherche d'une sagesse plus contemplative. La situation devenant intenable, dans la famille de Gontard, Hölderlin va s'installer chez son ami Isaac von Sinclair. Là, il travaille à un drame philosophique sur Empédocle, le philosophe grec qui s'est jeté dans le cratère de l'Etna : les circonstances ne permettront à aucune des trois versions qu'il en entreprend d'aboutir à une œuvre achevée.
Il devient de nouveau précepteur, en Suisse puis à Bordeaux (1802). De là, il revient à l'improviste pour apprendre la mort de Susette, qui n'a pas supporté la séparation. Éperdu de chagrin, il se retire du monde, ne veut plus voir personne et se voue entièrement à son œuvre lyrique. Sinclair l'accueille à Homburg une seconde fois ; mais il est impliqué dans une conspiration, Hölderlin étant dénoncé comme complice. On n'évite au poète d'être incarcéré à son tour qu'en le faisant passer pour malade mental et irresponsable. Sa mère le fait transférer de force dans une clinique où le traitement qu'on lui inflige achève de le briser. Il en sort pour prendre pension chez un menuisier, Zimmer, dont la famille l'accueille comme l'un des siens. Il y restera trente-six ans, jusqu'à sa mort, menant une existence d'ermite replié sur lui-même.
Outre le roman Hypérion, les ébauches du drame Empédocle, des traductions originales de Pindare et de Sophocle, Hölderlin laisse une œuvre lyrique monumentale. Se modelant dans sa jeunesse sur la mystique de Klopstock et l'idéalisme de Schiller, il consacre une série d'hymnes à la Liberté, à l'Harmonie, à la Beauté, à l'Amitié et à l'Amour. Puis il pratique l'ode classique à l'instar d'Alcée et d'Horace, en strophes de quatre vers à la métrique rigoureuse. Survient l'expérience de la passion vraie, divine et déchirante. Il retrouve le sens et la raison d'être du distique élégiaque. Après l'Archipel (1800), hymne en hexamètres, il inaugure dans une nouvelle série de grands hymnes, le Rhin, le Pain et le Vin, Patmos, un rythme libre imité de Pindare, dont se réclamèrent en France aussi bien les poètes de la Pléiade que Saint-John Perse. De Pindare il retrouve la densité, le sens du sacré, l'élan visionnaire, la puissance de l'image pour annoncer, en termes mystérieux, la venue d'un Christ nouveau, frère de Jésus, d'Héraclès et de Dionysos.