Czesław Miłosz
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Écrivain polonais (Szetejnie, Lituanie, 1911).
Né dans une famille de la vieille noblesse polono-lituanienne, il partage une enfance heureuse entre les magnifiques paysages des confins orientaux de la Pologne et les voyages, souvent exotiques, que lui offrent ses parents. Étudiant à l'Université de Wilno, il y publie ses premiers vers, Composition et Voyage (1930), et fonde, avec T. Bujnicki, J. Putrament et J. Zagórski, la revue Żagary (1931), expression d'une « seconde avant-garde » catastrophiste et révolutionnaire. À Paris, la même année, il rencontre pour la première fois son oncle, le poète O. V. de Lubicz-Milosz, qui traduit et édite l'un de ses poèmes. Ses plaquettes de vers, Poème sur le temps figé (1933), Trois Hivers (1936), frémissent d'obscurs pressentiments, mais lui valent le Prix du meilleur début littéraire. Lorsque l'U.R.S.S. envahit la Lituanie, il fuit en Roumanie pour regagner Varsovie occupée par les Allemands. Dans la résistance, il publie le premier recueil de vers clandestins, Poèmes, sous le pseudonyme Jan Syruk, et participe à l'activité éditoriale interdite. On lui doit la très importante anthologie de poèmes patriotiques, Chant de liberté (1942). Après la guerre, il rejoint Cracovie où la vie littéraire se regroupe. Il y édite le Salut (1945), un recueil imposant de ses poèmes écrits avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Le nouveau gouvernement communiste lui offre le poste d'attaché culturel à Washington (1945-1949), puis à Paris. Son Traité moral (1948) échappe à la vigilance de la censure, alors qu'il réfléchit à la responsabilité de l'homme devant l'histoire et à l'effet nocif du contrôle politique, idéologique, de la culture. Rappelé à Varsovie, Miłosz se voit retirer son passeport mais, avec la complicité de ses relations, parvient à quitter la Pologne (1951). Il trouve refuge auprès de Jerzy Giedroyc à l'Institut littéraire de Maisons-Laffitte, devenu un haut-lieu de la résistance culturelle polonaise au nivellement par le bas imposé en Pologne. Toute son œuvre y sera publiée jusqu'à la chute du communisme. Pour le poète, l'exil s'apparente à une forme de suicide, écrit Miłosz. Il vit cruellement l'éloignement de ses lecteurs polonais. Il subit la méfiance des émigrés polonais opposés au régime stalinien pour avoir appartenu au corps diplomatique de celui-ci. Il est rejeté par la gauche française scandalisée par le témoignage négatif du système marxiste donné dans la Pensée captive. Essai sur les logocraties populaires (1953), une réflexion sur la littérature dans la nouvelle réalité polonaise, et la Prise du pouvoir (1953) qui en est une variante romanesque. En France, il publie encore Sur les bords de l'Issa (1955), un roman poétique évoquant la Lituanie au nationalisme naissant, et Une autre Europe (1959), sorte d'autobiographie culturelle, puis se voit contraint à émigrer aux U.S.A., où il enseigne à l'Université de Berkeley (1960). Il y rédige une Histoire de la littérature polonaise (1969) qui fait référence. Sa poésie est difficile à traduire, aussi Miłosz est-il d'abord connu dans le monde comme essayiste. Visions de la baie de San Francisco (1969), Obligations personnelles (1972), la Terre d'Ulro (1977), Empereur de la terre (1977), l'Immoralité de l'art (1979), Notes sur l'exil (1981), l'Année du chasseur (1990), De la Baltique au Pacifique (1990), la Recherche de la patrie (1992), Une interruption métaphysique (1995), la Terre incommensurable (1996), le Petit Chien du bord de la route (1997), Immédiatement après la guerre (1998), Un autre abécédaire (1998), sont autant de livres d'essais, de réflexions sur la destinée de l'homme. La guerre et ses conséquences y sont traitées plus comme un problème philosophique que comme une expérience vécue. Miłosz s'y préoccupe d'une crise de la conscience européenne qu'il observe de son exil américain. S'il rêve d'un monde parfait, ses pensées sont traversées par le pressentiment d'un cataclysme inéluctable. Devant cette fin prochaine annoncée, dont il estime partager la responsabilité, il adopte une attitude stoïque. Il reste pourtant avant tout un poète jusque dans ses deux romans et ses traductions. Il affirme qu'une « diction nouvelle » peut naître des trouvailles poétiques mises au jour par une traduction. Il traduit en polonais Jacques Maritain, Jeanne Hersch, Daniel Beli, Simone Weil, mais aussi de l'hébreu et du grec le Livre des Psaumes (1979), le Livre de Job (1980), l'Évangile selon saint Marc, l'Apocalypse (1984). Il privilégie son œuvre poétique : la Lumière du jour (1953), le Traité poétique (1957), le Roi Popiel et autres poèmes (1962), Gucio enchanté (1964), Poèmes (1969), Où se lève et où se couche le soleil (1974), Hymne pour une perle (1983), Chroniques (1988), Des régions plus lointaines (1991), Haikou (1992). Sur les bords du fleuve (1994) est un retour poétique vers la Lituanie natale, Cela (2000) une poésie dont la sincérité, particulièrement touchante, est exprimée dans un style remarquable. L'Autre Espace (2001) est une conversation avec Dieu à plusieurs voix, très personnelle. Le poète y soulève des questions essentielles, celle de l'indifférence de Dieu devant le Mal, notamment. En 1980, Miłosz reçoit le prix Nobel de littérature pour l'ensemble de son œuvre. Les ouvriers du chantier naval de Gdańsk inscrivent ses vers sur leur monument tant ceux-ci expriment leurs aspirations. En 1981, Miłosz est accueilli pour la première fois en Pologne où jusque-là son œuvre était interdite. En 1993, il s'installe définitivement à Cracovie.