Persona
Persona
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des films ».
Drame psychologique d'Ingmar Bergman, avec Bibi Andersson (Alma, l'infirmière), Liv Ullmann (Elizabeth Vogler, la comédienne), Marghareta Krook (la doctoresse), Gunnar Björnstrand (M. Vogler), Jörgen Lindström (le fils).
- Scénario : Ingmar Bergman
- Photographie : Sven Nykvist
- Décor : Bibi Lindström
- Musique : Lars Johan Werle
- Montage : Ulla Ryghe
- Production : Lars-Owe Carlberg (Svensk Filmindustri)
- Pays : Suède
- Date de sortie : 1966
- Son : noir et blanc
- Durée : 1 h 24
Résumé
Un pré-générique offre des visions de cauchemar, liées à des détails du mécanisme de la projection cinématographique. La pellicule se casse, un enfant, filmé en contre-jour, passe la main sur un très gros plan du visage d'une femme, un diable en squelette sort d'un cercueil comme dans un vieux film muet… Une femme médecin convoque une infirmière et l'informe qu'elle devra prendre en charge une actrice célèbre, soudain saisie de mutisme au milieu d'une représentation d'Électre. Les deux femmes partent au bord de la mer et, au silence volontaire de l'actrice Elizabeth Vogler, va répondre le flot verbal de la jeune infirmière Alma. L'une semble l'envers de l'autre. L'actrice souffre d'une maternité mal assumée vis-à-vis de son fils, l'autre a supporté un avortement. Alma va exhiber les détails de sa vie intime dans une longue confession qu'Elizabeth écoute, toujours silencieuse. Mais leurs rapports vont brusquement se détériorer lorsque Alma lira une lettre écrite par Elizabeth à son mari, dans laquelle elle analyse avec ironie et cruauté le comportement de l'infirmière…
Commentaire
L'investigation cinématographique
Au début des années 1960, Ingmar Bergman vient de s'interroger, à travers sa trilogie métaphysique, sur les fondements de la foi chrétienne (À travers le miroir, 1961 ; les Communiants, 1962 ; le Silence, 1963). La conclusion de ce dernier film, malgré la présence finale du mot « âme », se révélait particulièrement pessimiste. Après un divertissement en couleurs, Toutes ses femmes (1964), il livre avec Persona son film le plus ambitieux, celui où il pousse jusqu'aux limites les plus extrêmes ses tentatives d'investigation du psychisme par les voies de l'auto-analyse, en s'interrogeant sur le dispositif même de l'enregistrement cinématographique comme capture de la voix et du visage de l'autre.
Persona, c'est d'abord le masque qu'offre le visage de l'individu, sa physionomie opaque et faussement déchiffrable ; le film oppose le visage d'Elizabeth, l'actrice de théâtre qui a réussi sa carrière et raté sa vie conjugale et son rapport de mère, et le visage de la jeune infirmière, à la personnalité apparemment plus simple et psychologiquement moins tourmentée. Le long séjour en duo dans la villa isolée au bord de la mer va offrir le spectacle éprouvant d'une cure analytique au cours de laquelle c'est, paradoxalement, l'infirmière qui se confiera pendant que sa patiente se concentrera sur l'écoute.
Le spectateur du film, pris en tenaille dans l'alternance des gros plans de visage, ne pourra que scruter avec une attention soutenue la parole proférée par Alma et l'écoute de cette même parole dont les effets seront perceptibles sur le visage d'Elizabeth. Bergman explore les extraordinaires pouvoirs du cinéma sonore comme instrument d'écoute de l'autre, comme microscope acoustique, un cinéma dans lequel ce n'est plus le sens des paroles qui prédomine, mais les expressions d'une actrice muette, ses regards, le mouvement de ses paupières et le léger pincement de ses lèvres : les silences de Liv Ullmann, magistralement mis en valeur par le délire verbal de Bibi Andersson, ont rarement été filmés avec une telle virtuosité analytique.