Haute Pègre

Trouble in Paradise

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des films ».

Comédie d'Ernst Lubitsch, avec Miriam Hopkins (Lily), Kay Francis (Mariette Colet), Herbert Marshall (Gaston Monescu), Charlie Ruggles (le Major), Edward Everett Horton (François Filiba), sir C. Aubrey Smith (Adolphe J. Giron), Robert Greig (le majordome), Leonid Kinskey (le Russe).

  • Scénario : Samson Raphaelson, Grover Jones, d'après la pièce de Laszlo Aladar The Honest Finder
  • Photographie : Victor Milner
  • Décor : Hans Dreier
  • Musique : W. Franke Harling
  • Production : E. Lubitsch (Paramount)
  • Pays : États-Unis
  • Date de sortie : 1932
  • Durée : 1 h 23

Résumé

Le gentleman-cambrioleur Gaston Monescu et sa compagne Lily, ayant écumé plusieurs palaces internationaux, gagnent Paris où ils jettent leur dévolu sur une nouvelle victime : la riche et belle Mariette Colet. Fort de ses bonnes manières et de son élégance raffinée, Gaston n'a guère de peine à se faire embaucher comme homme de confiance. Engagée à sa suite comme secrétaire, Lily assiste avec dépit à la naissance d'une idylle entre Gaston et leur séduisante patronne. Elle se venge en dévalisant le coffre de Mariette. Gaston, démasqué, s'accuse galamment du vol. Mariette le congédie à regret ; Gaston rejoint Lily pour de nouvelles aventures…

Commentaire

L'amour masqué

Venise, la nuit. Un homme accoste devant une villa, se saisit d'une poubelle, la vide dans une gondole municipale, et repart en chantant allègrement « O Sole Mio »… Le prologue, justement célèbre, de Haute Pègre nous installe d'emblée dans un univers enchanté où l'apparence et la réalité ne cessent de se combattre : la plus belle ville du monde possède aussi un service de voirie, mais le chant d'un éboueur gondolier suffit à effacer ce détail « vulgaire », élevant à la dignité d'un spectacle lyrique une tâche des plus médiocres. Un voleur se déguise parfois en baron, une pickpocket en comtesse, mais l'ingéniosité qu'ils mettent l'un et l'autre à mystifier le monde en fait d'authentiques artistes : l'élégance, le style n'ont pas de frontières…

Le vol, pour Gaston et Lily, est un stimulant érotique, un prolongement naturel de l'amour, une preuve de savoir-faire et de savoir-vivre, un défi périodique. Nous sommes ici dans un monde raréfié de virtuoses du déguisement et de l'affabulation, qui évitent soigneusement d'énoncer et de mettre à l'épreuve leurs sentiments, de crainte de rompre leur précaire complicité. Un monde d'artistes avec lequel Lubitsch se sent d'autant plus en harmonie qu'il est, lui aussi, un maître de l'illusion, du non-dit, du retournement des apparences ; un poète des brèves rencontres, un escamoteur de génie qui nous dissimule ses personnages à chaque instant critique de leur vie, un manipulateur d'émotions, un magicien de haut vol qui sait bien que l'amour est, de toutes les formes de pillage, la plus cruelle et la plus douloureuse.