théâtre du Boulevard
Terme général pour désigner le répertoire des salles situées autrefois sur le boulevard du Temple, puis sur les Grands Boulevards de Paris, et dont le caractère d'abord populaire et mélodramatique, puis bourgeois et facile, s'oppose à la fois au répertoire des grandes scènes traditionnelles et aux recherches du théâtre d'avant-garde.
THÉÂTRE
L'expression « théâtre de boulevard » désigne un genre de théâtre conventionnel, qui vise uniquement à plaire, par des effets faciles. C'est sur l'ancienne promenade des Remparts, devenue boulevard du Temple, que s'ouvrirent au xviiie siècle un certain nombre de théâtres populaires : Nicolet y fonde en 1759 la Gaîté ; Audinot, rival de Nicolet, l'Ambigu-Comique ; Volange, les Variétés-Amusantes, etc. Le genre qui remporte, à la fin du xviiie siècle, le plus de succès est le mélodrame, mais on donne aussi des vaudevilles ou des numéros de cirque.
Les origines
Cependant, la naissance effective du théâtre de boulevard peut être datée du décret de Napoléon Ier concernant les théâtres (8 juin 1806).
Mimes et pantomimes
L'empereur, qui méprisait la comédie et le drame, voulait ressusciter un grand théâtre tragique, d'inspiration héroïque et apologétique ; par ailleurs, le théâtre populaire lui semblait susceptible de devenir un instrument de subversion. Par ce décret, les théâtres principaux, la Comédie-Française et l'Opéra, sont consacrés à un art impérial officiel, tandis que les théâtres secondaires : Vaudeville, Variétés, Ambigu-Comique, Gaîté, etc., sont voués à des spectacles muets, c'est-à-dire à la pantomime, au ballet, aux numéros des acrobates et des jongleurs. Ce décret entraîna la désaffection des salles officielles, et de leurs ennuyeuses tragédies néoclassiques, par le grand public qui reflua rapidement vers le boulevard.
Après la chute de l'Empire, les spectacles muets continuent à avoir la faveur du public : on adapte Hamlet en pantomime (1816) et Othello en ballet (1818). En 1817, les spectateurs des Funambules découvrent le mime Jean-Gaspard Baptiste Deburau, qui devient un célèbre Pierrot. Le mouvement prime encore la parole : Frédérick Lemaître lui-même, débutant en 1816, fait son entrée sur scène en marchant sur les mains.
Vers un théâtre des mots
À ce théâtre muet, gestuel et direct, succède, sous la seconde Restauration, un théâtre fondé sur le mot et les situations ; c'est, d'une part, le mélodrame, avec les pièces de Pixérécourt, de Caignez, de Ducange ; d'autre part, le vaudeville.
Toutefois, en marge du romantisme, le théâtre historique, où excelle Alexandre Dumas, connaît également un grand succès populaire. Dumas fait construire en 1849, boulevard du Temple, un théâtre historique qui, malgré le triomphe du Chevalier de Maison Rouge (134 représentations), dut fermer dès 1850. Après Dumas, le théâtre historique dégénère avec Victorien Sardou (1831-1908).
Le règne du vaudeville
Tout au long du xixe siècle, mais principalement de 1820 à 1860, le vaudeville constitue une part importante de la production théâtrale ; souvent écrites en collaboration par plusieurs auteurs, les pièces de vaudeville rivalisent de médiocrité avec les mélodrames, sans être rachetées par la mise en scène spectaculaire dont ceux-ci bénéficient. Dès 1839, Théophile Gautier peut écrire : « Le théâtre n'est plus aujourd'hui qu'une entreprise industrielle, comme une fabrique de sucre de betterave ou une société pour le bitume. » Eugène Scribe (1791-1861), dont les faciles comédies enthousiasment le public, est le premier des « fabricants de théâtre » qui vont se multiplier à la fin du xixe et au début du xxe siècle.
Sous le Second Empire, le théâtre est presque exclusivement commercial : après Scribe, Émile Augier (1820-1889 ; le Gendre de M. Poirier) et Alexandre Dumas fils se font avec profit les défenseurs des valeurs bourgeoises. Les comédies à trois actes et à trois personnages (le mari, la femme, l'amant) sont mauvaises, mais servies par d'excellents comédiens. Un seul auteur, Eugène Labiche, touche à la satire. Par la précision de son comique, Georges Feydeau traite en farces les thèmes stéréotypés du vaudeville.
La Belle Époque
À la Belle Époque, le terme de boulevard sert à désigner aux provinciaux et aux étrangers une spécialité bien parisienne. Sur les boulevards, on joue aussi bien un théâtre « d'idées », représenté par François de Curel, Brieux, Octave Mirbeau (les directeurs avisés des scènes du boulevard s'empressaient d'y attirer les auteurs qu'Antoine avait révélés), qu'un théâtre léger, « de digestion ». Henri Bataille (1872-1922) prétend à la critique sociale mais se contente de réintroduire le triangle du vaudeville en le dramatisant. Parmi les plus célèbres auteurs comiques de ce début de siècle, citons : Robert de Flers (1872-1927), d'abord associé avec Gaston Arman de Caillavet (1869-1915) pour l'Habit vert, puis avec Francis de Croisset (1877-1937) ; Alfred Capus (1857-1922 ; la Bourse ou la Vie, 1900). C'est une image grossie, mais sans nuance critique, de leur propre existence que les grands bourgeois trouvent sur les scènes du boulevard.
Autour de Sacha Guitry
Après la Première Guerre mondiale, le boulevard connaît un changement de public, dû à l'apparition de nouvelles couches sociales : anciens artisans devenus industriels, commerçants enrichis… qui prennent la relève de la haute bourgeoisie d'avant guerre. Le théâtre de boulevard qui fut, à l'origine, un théâtre du peuple, en s'adaptant à ce nouveau type de spectateurs, tend à se démocratiser.
Le public ne vient plus y chercher l'image, même schématique, de sa propre vie ; mais, au contraire, un espace complètement artificiel, régi par un petit nombre de conventions, où évoluent des personnages semblables, sans classe ni réalité sociale, réduits à leur seule fonction scénique : l'échange de bons mots. À cet égard, nul doute que le plus grand auteur de boulevard de ce siècle fut Sacha Guitry qui connut le succès dès 1911 avec Un beau mariage. Cet auteur, qui tenait le sujet pour indifférent, savait qu'une mince anecdote, un bon mot, un décor mondain suffisaient à la réussite d'une pièce de boulevard. C'est l'inactualité même des pièces de Guitry (nul n'a moins que lui reflété son époque) qui fut le gage de leur succès. À côté de lui, mentionnons : Alfred Savoir (1883-1934), Maurice Donnay (1859-1945), Paul Géraldy (1885-1983).
Nouvelle génération d'auteurs
Cependant, une génération d'auteurs nés vers 1900 va tenter de donner au théâtre de boulevard la dimension littéraire et dramatique qui lui manque. Il s'agit principalement de : Marcel Achard qui, dans ses premières pièces, apporta une certaine poésie onirique : Jean de la Lune (1931) ; Marcel Pagnol qui aborda la satire avec Topaze (1928) et la peinture sociale avec sa trilogie marseillaise, Marius, Fanny, César ; Jean Anouilh qui fit de ses Pièces roses et Pièces noires d'acerbes critiques de mœurs. Moins ambitieux, mais doué d'une technique solide, André Roussin se plaît, notamment dans la Petite Hutte (1947), à utiliser d'une manière insolite les situations du boulevard traditionnel. Ce boulevard, d'ailleurs, n'est pas mort. Presque aussi nombreux aujourd'hui qu'au début du siècle, des spécialistes continuent à « fabriquer » des pièces selon des procédés éprouvés depuis plus de cent ans. On retrouve dans ces pièces les mêmes chassés-croisés, les mêmes quiproquos, presque les mêmes bons mots ; seul le décor change. Outre le tandem Barillet et Grédy, il faut citer Marc Camoletti (Boeing-Boeing, 1960), Marcel Mithois, Claude Magnier, Françoise Dorin… auxquels sont venus s'ajouter des acteurs-auteurs tels que Jean Poiret et Maria Pacôme. Aujourd'hui, on tend à désigner en bloc par « boulevard » un théâtre commercial, radicalement retranché des recherches dramatiques contemporaines.