télé-réalité
Émission télévisée qui consiste à filmer la vie quotidienne de personnes sélectionnées pour y participer.
Ce terme désigne un type de programme télévisuel apparu à la fin des années 1990 : Robinson (1998) en Suède, Big Brother (1999) aux Pays Bas. Ces programmes ont été adaptés dans de nombreux pays, ont inspiré de nombreuses émissions, ont rencontré de gros succès d’audience, ont été promus en événement social et ont souvent été accompagnés de polémiques.
Adapté en France en 2001 sous le nom Loft Story, Big Brother est une série d’émissions réalisées à partir de l’expérience de personnes enfermées et filmées pendant plusieurs semaines dans un studio de télévision conçu comme une maison. Adapté en 2001 sous le nom Koh Lanta, Robinson (Survivor aux États-Unis) repose sur l’expérience de participants qui doivent survivre sur une île déserte.
Un concept, des formes variées
Les programmes de télé-réalité peuvent être définis comme :
– la mise en situation de personnes sélectionnées et volontaires pour participer à une expérience de vie, motivées par la médiatisation voire par l’espoir de célébrité ;
– ces participants étant filmés sur une période longue par de nombreuses caméras pour capter tous leurs faits, gestes et paroles ;
– le déroulement reposant sur la dynamique d’un jeu avec l’élimination progressive de participants et une promesse de gain pour le ou les gagnants ;
– les téléspectateurs étant invités à participer au processus d’élimination en votant par téléphone ;
– la diffusion étant faite en épisodes, comme pour un feuilleton, sur une période pouvant s’étendre sur trois mois.
Mais autour de ces éléments constitutifs du concept de télé-réalité, les variables sont importantes :
– selon que la mise en situation relève de la quotidienneté (Loft Story, Les colocataires, Nice People) ou de l’extraordinaire (Koh Lanta, Fear factor, Le pensionnat de Chavagnes, La ferme Célébrités) ;
– selon que les téléspectateurs peuvent suivre les participants en direct (Loft Story, Star Academy) ou n’ont accès qu’à un résumé (Pékin Express, l’Île de la tentation, Nouvelle Star) ;
– selon que les caméras sont fixes et cachées (modèle Big Brother) ou mobiles et visibles pour les participants (Pékin Express, Koh Lanta, l’Île de la tentation, Bachelor) ;
– selon que les participants sont des personnes ordinaires (Big Brother), dotées d’un talent (télé-réalité musicale) ou des célébrités (Première Compagnie, La ferme Célébrités, Je suis une célébrité sortez-moi de là).
Autour du modèle de référence Big Brother, les formes sont donc multiples et relèvent en général des catégories du dépassement de soi, du télé-crochet, de la séduction ou de la supercherie. Cette dernière forme est un procédé de parodie de la télé-réalité, qui repose sur la feintise : Mon incroyable fiancé, Gloire et Fortune, La Grande Imposture, consistent à cacher à un des participants que les autres sont des acteurs. Ces programmes ne reposent donc plus sur l’illusion de la transparence, sur l’idée de montrer la réalité sans médiation, sans manipulation, qui sont pourtant à l’origine du nom « télé-réalité ».
La télé-réalité, caractérisée par de bonnes, voire très bonnes audiences, a d’emblée fait débat : dénonciation de l’exhibitionnisme des participants acceptant de dévoiler leur intimité, du voyeurisme des téléspectateurs, du décalage entre la promesse d’authenticité de « vrais gens » et les jeux d’acteurs des personnes stéréotypées issues des castings, de la contradiction entre la promesse de transparence et la mise en scène très élaborée, de l’instrumentalisation de prétendues expériences sociales au profit de logiques commerciales d’audience.
La télé-réalité n’est pas un bouleversement radical des formes de production télévisuelle mais un condensé de tous les ingrédients de la télévision occidentale contemporaine, avec des emprunts au feuilleton, au documentaire, au jeu, aux débats de société, au roman-photo. Elle se situe au croisement de la fiction, du reportage et du divertissement.
La force du modèle économique
Bien que les polémiques se soient installées dans le champ social, le succès de la télé-réalité doit aussi être interprété du point de vue économique ; producteurs et diffuseurs ont développé les programmes de télé-réalité en raison de leur rentabilité :
– Le même programme est déclinable en épisodes sur plusieurs semaines, en formats différents à des horaires différents (par exemple quotidiennement en début de soirée et hebdomadairement en soirée) et sur plusieurs médias (télévision hertzienne, câble, satellite, sites Internet, magazines papier).
– La vente d’espace publicitaire est favorisée par le format, qui a toutes les qualités du parfait écrin publicitaire : insertion au moment de suspense et donc de captation du public (notamment avant les résultats du vote conduisant à l’élimination d’un candidat). Les programmes de télé-réalité présentent de ce point de vue les avantages des fictions télévisées sans les limitations du nombre de coupures imposées à la fiction, en France.
– La vente d’espace publicitaire est favorisée par les thématiques, appréciées par les annonceurs : soit parce que les participants des télé-crochets rêvent de la célébrité et du mode de consommation qu’elle rend possible, soit parce que les participants oisifs des émissions du type Big Brother sont amenés à parler beaucoup d’alimentation, de mode et de beauté, soit parce que ceux qui se lancent dans une aventure du type Koh Lanta rêvent du retour à la vie « normale » pour bénéficier du confort et de l’opulence de la société de consommation. Les programmes de télé-réalité peuvent donc, dans une certaine mesure, être interprétés comme des formats présentant l’avantage d’intégrer la publicité comme un prolongement naturel du programme, ce qui permet de réduire le zapping pendant la publicité et de favoriser l’attention au discours des marques.
– Ces programmes permettent au diffuseur de commercialiser des produits dérivés (disques, places de concert, lignes de vêtement, jeux, etc.).
Ce type de programme est pourtant en perte de vitesse. Les audiences sont moins spectaculaires et les chaînes françaises ont connu des échecs qui les ont amenées à faire le choix de la déprogrammation (TF1 remplace en urgence Royaume par la fiction américaine Les Experts, en mars 2006). Le succès des fictions, notamment des séries télévisées américaines, est renouvelé. La télé-réalité est probablement victime de sa propre promesse : d’une part les scénaristes, tentant de suppléer une réalité qui n’est pas toujours captivante, font perdre aux programmes l’illusion de l’authenticité et pleuvoir les critiques de manipulation, d’autre part la surenchère conduit à des contenus de moins en moins acceptables pour des chaînes de télévision grand public (érotisme, accouchement en direct, violences physiques). La décision de la cour de cassation de requalifier en contrat de travail la prestation des candidats de l’Île de la tentation (juin 2009) finit d’échauder les diffuseurs.
La télé-réalité, au sens de scénarisation du réel, ne disparaît pas pour autant des écrans français : elle est au cœur des émissions de coaching, des émissions de témoignages et des « fictions du réel ».