l'affaire du métro Charonne
Répression sanglante d'une manifestation organisée le 8 février 1962 à Paris par les syndicats CFTC, CGT, UNEF, SGEN, SNI, auxquelles se sont associées des organisations de gauche, dont le PCF et le PSU, pour protester contre les attentats perpétrés la veille par des membres de l'Organisation armée secrète (OAS) et pour réclamer l'arrêt immédiat des opérations de l'armée française en Algérie.
Le contexte
L'affaire du métro Charonne a lieu dans les derniers mois de la guerre d'Algérie (commencée le 1er novembre 1954, elle s'achèvera officiellement le 18 mars 1962 par la signature des accords d'Évian). La manifestation du 8 février 1962 a lieu dans un contexte d’opérations meurtrières du FLN contre la police, et d’une campagne d’attentats de l’OAS.
Les opérations du FLN contre la police
Depuis 1958, la métropole, non épargnée par la guerre, est la cible d'attentats perpétrés par le Front de libération nationale (FLN) contre la police. En mars 1958, Maurice Papon a été nommé préfet de police de la Seine avec pour mission de donner un nouvel élan à la lutte contre le FLN. C'est lui qui est à l'œuvre lors de la répression d'une manifestation de travailleurs algériens protestant contre le couvre-feu imposé aux « Français Musulmans d'Algérie » (FMA), répression qui aboutit au massacre du 17 octobre 1961.
Les attentats organisés par l'OAS
Les partisans de l'Algérie française, regroupés dans l'Organisation armée secrète (OAS) créée le 11 février 1961, refusent la perspective de l'indépendance de l'Algérie que laissent entrevoir les négociations engagées depuis le 20 mai 1961 entre le gouvernement français et le Gouvernement provisoire algérien (GPRA), et qui aboutiront, le 18 mars 1962, à la signature des accords d'Évian. Se sentant trahis, les membres de l'OAS se sont lancés dans une politique de « terre brûlée » et d'actes de violence à la fois en métropole et en Algérie ; par cette stratégie, ils cherchent à provoquer un sursaut de l'opinion contre le pouvoir du général de Gaulle et à semer le trouble au sein de la police, qui compte de nombreux sympathisants de l'OAS.
Le 7 février 1962, une vague d'attentats est menée en région parisienne, visant notamment les domiciles de plusieurs personnalités, dont l'écrivain André Malraux, ministre de la Culture du général de Gaulle. Le lendemain, une « manifestation de défense républicaine » est organisée à l'appel des syndicats CFTC, CGT, UNEF, SGEN, SNI, auxquels s'associent le parti communiste français (PCF) et le parti socialiste unifié (PSU) pour dénoncer les manœuvres de l'OAS et demander l'arrêt immédiat des opérations en Algérie.
Les événements
Le 8 février, malgré l'interdiction de manifester sur la voie publique (décret du 23 avril 1961), environ 2 000 personnes se déploient dans le XIe arrondissement de Paris afin de se rassembler place de la Bastille, bloquée par environ 3 000 policiers. Vers 19 heures 30, au moment de se disperser, l'un des cortèges est pris en tenaille par les compagnies d'intervention de la préfecture de police. Pris de panique, des manifestants s'engouffrent dans la bouche de métro Charonne (où aucune grille ne bloque l’entrée, version officielle du pouvoir), chutent dans les marches où ils sont piétinés, écrasés par les grilles arrachées du pied des arbres et projetées sur eux par les policiers : huit manifestants sont tués (un neuvième décèdera trois mois plus tard de ses blessures), des dizaines sont blessés, dont certains très grièvement. Huit des victimes étaient syndiquées à la CGT et sept étaient membres du PCF.
Outre le nombre de victimes, l'âge de la plus jeune d'entre elles (qui n'avait que seize ans) suscite une vive émotion. En signe de protestation, une grève générale est organisée le 9 février et des manifestations le 12, par la CGT et des syndicats. Le 13 février, un impressionnant cortège de plusieurs centaines de milliers de personnes accompagnent en silence les victimes jusqu'au cimetière du Père-Lachaise.
Responsabilités et mémoire des évènements
Les auteurs du massacre – les policiers de la 32e compagnie de district dont ceux qui les dirigeaient sur le terrain, en liaison directe avec la préfecture de police – n'ont jamais été poursuivis ni condamnés. Personnalités politiques et policiers ont rejeté la responsabilité des morts sur l'OAS, invoquant une provocation des partisans de l'Algérie française qui n'a jamais été prouvée. Dès 1966 est votée une loi d'amnistie des infractions contre la sûreté de l'État ou commises en relation avec les événements d'Algérie, et notamment « les infractions commises entre le 1er novembre 1954 et le 3 juillet 1962 dans le cadre d'opérations de police administrative ou judiciaire ».
Dans les années qui ont suivi les événements, le souvenir des morts de Charonne n'est entretenu que par les seuls communistes qui organisent, dès 1963, des manifestations commémoratives le 13 février, date des funérailles qui ont rassemblé toute la gauche.
Pour leur part, les autorités françaises ont refusé toute commémoration du 8 février 1962 jusqu'en 1981, date de l'arrivée de la gauche au pouvoir. En mars 1982, une plaque est apposée dans la station de métro Charonne ; le 8 février 2007, le maire de Paris, Bertrand Delanoë, le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault et d'autres personnalités inaugurent une place pour les neuf victimes de Charonne.
Mais l'affaire du métro Charonne est de moins en moins présente dans la mémoire collective et sur la scène publique. Si elle éclipsa, à l'époque des faits, le massacre du 17 octobre 1961, la tendance semble s'être inversée.
Pour en savoir plus, voir les articles France : vie politique depuis 1958, Ve République.