crue
(participe passé de croître)
Élévation du niveau d'un cours d'eau, résultant de la fonte des neiges ou des glaces ou de pluies abondantes.
Causes des crues
Des crues très graves peuvent avoir pour cause l'accumulation des eaux fluviales, même lorsque les débits ne sont pas trop élevés, à l'amont d'obstacles : dans les montagnes, ce sont des barrages d'éboulements. Dans les plaines, les glaces, qui recouvrent tous les hivers certains cours d'eau (Europe orientale, Canada) et plus ou moins régulièrement certains autres (Danube, Rhin), peuvent provoquer des crues désastreuses (les embâcles) en s'accumulant dans des lieux resserrés, lors de leur mise en marche après la rupture de la carapace (inondations du Rhin à Coblence et à Cologne, en février-mars 1784, et du Danube à Budapest, en mars 1838). La rupture des barrages naturels et artificiels élevés engendre des crues de débâcles beaucoup plus graves par leurs débits, la violence irrésistible de leurs courants et leur arrivée ; telles furent les catastrophes provoquées par l'Indus en juin 1841 et en août 1929 (rupture d'un barrage glaciaire sur le Shyok, dans le Karakorum) ainsi que celle de septembre 1912 dans la vallée de la Romanche et à Grenoble (destruction d'un barrage de déjections torrentielles et vidange brusque du lac temporaire du bassin d'Oisans).
Bien plus fréquentes sont les crues engendrées par les apports excessifs d'eau : fontes rapides d'épaisses couches de neige ou averses surabondantes. On attribue par erreur ou exagération au premier de ces facteurs un rôle prépondérant ou même exclusif lors des inondations hivernales ou des gonflements estivaux, pour les rivières issues des hautes montagnes. Les crues nivales qui reviennent tous les ans dans les plaines russes et canadiennes ou dans les Alpes ne sont, en effet, pas comparables aux grandes crues d'origine pluviale qui menacent quantité de régions terrestres : sur des centaines de milliers ou quelques millions de kilomètres carrés, en Russie et en Sibérie, les crues des fleuves sont à peu près uniques au monde. Des fontes, qui ne sont pas excessives, peuvent augmenter le débit, pendant les crues, d'un quart, d'un tiers, voire de moitié : cela peut suffire à transformer en désastres des gonflements fluviaux qui n'auraient pas une gravité spéciale, ce qui fut le cas pour les rivières de la Nouvelle-Angleterre en mars 1936.
Les pluies et les crues
Dans la plupart des régions, les crues de beaucoup les plus violentes pour les bassins petits et moyens et les seules qui peuvent être dévastatrices sont dues aux excès pluviaux. Mais, pour ceux-ci, la variété des phénomènes dangereux possibles, selon les régions, les bassins considérés et les saisons, défie toute description rapide. Une pluie de 72 mm répartie sur deux ou trois jours dans l'ensemble du bassin de la Seine à l'amont de Paris (janvier 1910) est remarquable ; en revanche, des précipitations de 250 mm sur le bassin de l'Ardèche (2 230 km2), dans la même période de temps, sont un phénomène banal. L'averse terrifiante dite « de Thrall », dans le Texas central (9 et 10 septembre 1921), déversa, en dix-huit heures, 250 mm sur 25 900 km2. En certains postes, on a observé en un jour jusqu'à 792 mm (à Joyeuse, dans l'Ardèche, en octobre 1827), plus de 1 000 et 1 500 mm à certaines stations de la Réunion ; en octobre 1951, une station de la Calabre reçut 1 495 mm.
Les crues les plus élevées résultent de précipitations peu intenses, mais prolongées ou même répétées en séries pendant plusieurs jours (Seine, ensemble du bassin du Rhône) ou quelques semaines (Mississippi).
La puissance des débits maximaux pour les petits bassins situés dans des régions accidentées dépend des intensités pluviales en quelques heures par l'intermédiaire de certaines relations. Partout, un élément capital des phénomènes est le coefficient (ou quotient d'écoulement) de crue, c'est-à-dire le rapport entre la pluie écoulée durant la crue et les quantités de pluie ou d'eau de fonte à l'origine de cette crue. En plein hiver, ce coefficient, pour les très grandes précipitations entièrement liquides, atteint ou dépasse 80 %. En plein été, l'évaporation et l'infiltration annihilent l'effet des quantités importantes d'eau ; et le coefficient de crue n'atteint des chiffres très élevés qu'après des averses tout à fait exceptionnelles. Très souvent, les quotients d'écoulement de crues, même très dévastatrices, ne dépassent pas, en été, 40 à 50 % ; ils sont fréquemment médiocres lors des premières crues de l'automne. Outre la saturation préalable, l'intensité, puis les totaux et la durée des pluies jouent des rôles décisifs : au-delà de certains totaux pluviaux, l'infiltration cesse ou se réduit dans des proportions très grandes, et l'évaporation n'augmente plus.
Propagation et augmentation des crues
Les débits de crue se propagent vers l'aval à des vitesses qui se rapprochent de celles des courants lorsque les eaux ne débordent pas, mais qui se réduisent beaucoup dans les cas de submersions étendues. La translation se fait à 12 ou 15 km à l'heure dans les rivières de montagne en pente forte, et même à 15 et 20 km à l'heure pour certaines crues énormes non débordantes (cas du Tarn, dans les Causses, en septembre 1900). Pour les rivières de plaines peu déclives, le flot chemine à moins de 5 km à l'heure entre des berges hautes non submergées, à moins de 2 km à l'heure dans le cas des très grandes inondations (Saône, Mississippi).
En un lieu donné, les divers types d'évolution des crues sont conditionnés par la vitesse du courant, puis par la longueur du cours d'eau et la durée de la pluie ; la montée des eaux peut s'achever en un quart d'heure sur certains torrents lors des orages, en quelques heures sur le cours supérieur des rivières cévenoles, en huit à douze heures sur la basse Ardèche, en vingt-quatre à trente-six heures sur l'Isère, à Grenoble. Elle se produit pendant deux ou trois jours sur le Rhône à Lyon, neuf ou dix jours sur la Saône au même lieu et sur la Seine à Paris, plusieurs semaines sur le Mississippi inférieur, le bas Yangzi Jiang, etc. Elle peut être très accélérée par l'apport d'un affluent à gros débit (cas pour le Rhône, lors des crues cévenoles, à la confluence de l'Ardèche). Enfin, sur certaines petites rivières, lors des crues déclenchées par des averses torrentielles « explosives », la montée des eaux, surtout à son début, peut être foudroyante et même comporter l'irruption de véritables « murs d'eau » qui évoquent les fronts des ondes de débâcle.
La puissance maximale des crues
Les débits maximaux lors d'une crue donnée diminuent en fonctions à peu près exponentielles de surfaces réceptrices croissantes. En France, ils doivent dépasser, par kilomètre carré, 10 m3s ; ils ont été de 6 m3 pour 500 km2 dans le Vivarais et les Cévennes. Pour 10 000 km2, la Garonne a débité à Toulouse au moins 0,7 m3/km2 le 23 juin 1875. Pour 100 000 à 150 000 km2, les records du Douro, du Rhône, du Danube ont avoisiné 120 à 150 litres par seconde et par kilomètre carré. Pour la Seine, en janvier 1910, à Paris, le débit maximal n'a guère excédé 50 litres par seconde et par kilomètre carré.
Si l'on considère les cours d'eau étrangers, on citera plus de 2,5 m3 par seconde et par kilomètre carré pour 9 100 km2 du río Pecos, au Nouveau-Mexique, en juin 1954, 200 litres par seconde et par kilomètre carré pour les 325 000 km2 de la rivière des Perles, au bassin accidenté, en 1915. Si l'on considère les débits maximaux bruts, on citera : pour la Seine, 2 350 m3 à Paris en janvier 1910 ; pour la Loire, 9 000 m3 au bec d'Allier en octobre 1846 et en septembre 1866 ; pour la Garonne, 7 000 à 7 500 m3 à Toulouse en juin 1875 ; pour le Rhône, 11 000 m3 à Beaucaire en novembre 1840 ; pour le Pô, 12 800 m3 à Plaisance en novembre 1951 ; pour le Rhin, 12 500 m3 à la frontière germano-hollandaise ; pour la Volga, 61 000 m3 à Kouïbychev en 1926. Les records des débits bruts doivent appartenir à l'Ienisseï (120 000 m3), à la Lena (110 000 m3) et surtout à l'Amazone (peut-être 300 000 m3).
Les hauteurs des crues varient selon les largeurs, les profondeurs et les vitesses pour un débit donné. Dans les gorges du Yangzi Jiang, avant Yichang, certaines crues atteignaient 60 à 70 m sur les basses eaux, avant la construction du barrage des Trois-Gorges. Le Douro inférieur, en décembre 1909, a coté, selon les lieux, de 24 à 34 m au-dessus de l'étiage. Le record de l'Ohio, à Cairo (février 1937), a dépassé 18 m. En France, les niveaux records sur les zéros des échelles sont : pour la Garonne, 8,32 m à Toulouse et 11,70 m à Agen ; pour la Loire, 7,52 m à Tours ; pour la Seine, 8,60 m au pont d'Austerlitz, à Paris ; pour le Rhône, 8,30 m à Avignon.
La Loire menace environ 1 500 km2. Le Rhône peut inonder, en France, 2 400 km2, dont 1 600 en aval de Tarascon et de Beaucaire. Le Mississippi, en aval de Cairo, a submergé, en 1882, quelque 90 000 km2 (plus que la Belgique et les Pays-Bas réunis). Le Yangzi Jiang a été la cause de submersions d'une étendue comparable en 1931 et en 1954. En ces deux circonstances, il a dû détruire les habitations de plus de 20 millions de personnes, et, en 1931, il y aurait eu des centaines de milliers de victimes. Le Huang He, aujourd'hui en cours de régularisation, a été encore plus meurtrier.
Les grandes inondations, même sans atteindre cette ampleur démesurée, sont souvent des catastrophes nationales. Celles des rivières du Kansas, en juillet 1951, ont fait énormément de dégâts. Et, dans le territoire surpeuplé du Japon, les crues brutales et furieuses multiplient les désastres.