bidonville

Phnom Penh, bidonville
Phnom Penh, bidonville

Agglomération d'abris de fortune, de construction sommaires et dont les habitants vivent dans des conditions difficiles, notamment à la périphérie des grandes villes.

GÉOGRAPHIE

1. L'origine du mot

Le terme « bidonville » fut d'abord utilisé à Casablanca à partir de la fin des années 1930, pour nommer les quartiers de baraques construites par des ruraux dans la périphérie de la ville à l'aide de matériaux de récupération, notamment de vieux bidons découpés. Peu à peu, il a désigné tous les habitats précaires et spontanés de ce type. Selon les pays, le terme a des équivalents variés : slums en Inde (terme retenu par les Anglo-Saxons), favelas au Brésil, colonias populares (« colonies populaires ») au Mexique, villas miserias (« villes misères ») en Argentine, barriadas (« quartiers des faubourgs ») puis pueblos jóvenes (« villages jeunes ») et finalement asentamientos humanos (« établissements humains ») au Pérou, poblaciones callampas (« peuplements [qui poussent comme des] champignons ») au Chili, umjondolo en Afrique du Sud, shammasa au Soudan, iskwaters aux Philippines…

L'histoire du terme anglo-saxon slum rend compte de l'image sociale des habitations très pauvres : apparu vers 1824 à Londres pour désigner une pièce dans une maison délabrée, le mot désignait aussi à la même époque le racket, puis il en vint à désigner vers 1850 les lieux où se pratiquaient la prostitution, avant d'entrer, à la fin du xixe s., dans l'expression to go slumming, qui indiquait que l'on pratiquait une activité charitable. Le bidonville serait ainsi un lieu infâme dans lequel se répandent toutes sortes de maux sociaux, du vol à la prostitution, et seule la charité pourrait en venir à bout.

2. Les caractères des bidonvilles

Il n'y a guère de plans destinés à l'accueil des émigrants qui viennent s'entasser dans les villes du tiers-monde. D'où les abris de fortune. Au sens strict, le bidonville est fait de matériaux récupérés : bidons, tôles, caisses, planches, cartons goudronnés et vieilles bâches en plastique. Assez souvent aussi, ce sont des pseudo-villages avec des constructions dans le style des habitations rurales du pays : maisons de pisé, huttes, paillotes et autres. L'autoconstruction est fréquente mais elle n'est pas générale.

L'occupation du terrain est souvent illégale, mais il arrive aussi que les habitants doivent payer un loyer au propriétaire. Dans de nombreux cas, les bidonvilles se sont développés sans plan et sans aucune infrastructure, mais il arrive néanmoins qu'il y ait un plan régulier et que les autorités locales aient installé quelques points d'eau et quelques lampadaires. Faute d'égouts, l'hygiène est partout un problème sérieux.

3. Naissance et essor des bidonvilles

Les bidonvilles ont commencé à apparaître dans le tiers-monde dans l'entre-deux-guerres. Leur essor vigoureux date cependant de l'après-guerre ; il est le fruit de deux réalités convergentes : l'exode rural massif dans les pays du tiers-monde ; l'incapacité des grandes villes de ces pays à faire bénéficier les nouveaux arrivants des infrastructures minimales (logement en dur, eau, électricité, voirie…). En 2004, selon ONU-Habitat (Organisation des Nations unies pour l'habitat), un milliard d'êtres humains vivaient dans des bidonvilles, et on en comptait environ 25 millions de plus chaque année entre 2000 et 2003. Mais ce rythme continue de croître, et, selon les projections du même organisme, le chiffre total doublera en 2030. Il y aura alors deux milliards d'habitants dans des bidonvilles, qui représenteront près de la moitié de la population urbaine mondiale.

3.1. Un exode rural massif

On estime que vers 1800, environ un être humain sur huit vivait en ville. Depuis cette date, l'accroissement de la population urbaine a toujours été plus rapide que celui de la population totale. En 1950, 35 % de la population mondiale vivait en ville, un tiers en 1972, 50 % en 2007, et peut-être 60 % en 2025. L'accélération du phénomène est donc très sensible depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

L'exode rural s'explique par plusieurs facteurs. L'augmentation globale de la population mondiale a bénéficié à la population rurale. Mais cette augmentation n'aurait pas suffi à alimenter le fort exode rural si les paysans ne s'étaient pas trouvés en surnombre sur leurs terres du fait des bouleversements profonds des méthodes d'agriculture ; la mécanisation et l'utilisation massive depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale de pesticides et d'engrais ont entraîné un déclin du nombre d'agriculteurs. L'industrialisation des pays dits en développement constitue aussi un puissant appel de main-d'œuvre rurale vers les villes, mais cette constatation, si elle est vraie pour des pays comme la Chine ou l'Inde, ne rend pas compte de la situation de l'Afrique subsaharienne. Dans cette dernière région, l'exode rural ne s'explique que par la pauvreté absolue, que les politiques menées depuis des décennies dans ces pays ne sont pas parvenues à réduire, au contraire. Les pauvres des campagnes partent alors en ville, où ils espèrent survivre moins difficilement.

Car l'attirance de la ville n'est pas le moindre facteur qui incite un individu à abandonner la campagne. En effet, les emplois urbains, souvent mieux payés, dévaluent les emplois traditionnels, ce qui amène nombre de ruraux à délaisser leurs anciennes occupations, agricoles notamment, et à préférer « tenter leur chance » en ville.

3.2. L'explosion des bidonvilles des pays en voie de développement

L'accueil des ruraux ayant abandonné leur activité agricole pour la ville fut sans doute possible dans les pays développés des années 1945-1960, mais il n'en va pas de même dans les pays en voie de développement : en général, aucun logement n'est prévu pour les accueillir. Les problèmes de logements sont dus à de nombreux facteurs, en premier lieu la forte croissance démographique de la plupart de ces pays. Mais cela n'explique pas tout, et d'autres problèmes s'y sont ajoutés. Le développement économique du tiers-monde a été le plus souvent axé sur les villes, ce qui a entraîné et entraîne encore une pression foncière accrue dans les zones urbaines. Les immigrants sont souvent incapables d'acheter un terrain ou même de louer un logement en dur, les prix locatifs étant eux aussi orientés à la hausse. Ils préfèrent alors s'installer dans les bidonvilles situés dans les interstices laissés vacants par les autorités locales et les promoteurs immobiliers. Il s'agit en général de zones insalubres (zones inondables ou de stockage des ordures), ou de bidonvilles anciens, d'abord situé dans la proximité de la ville, que l'expansion de celle-ci finit par englober et que les autorités locales ne peuvent raser, faute de plans de relogement. Souvent aussi, les habitants des bidonvilles refusent d'être repoussés encore plus loin du centre. En effet, la plupart d'entre eux ont un emploi et doivent donc se rendre chaque jour à leur travail, ce qui peut signifier plusieurs heures de trajet quotidien dans les grandes villes du tiers monde, où les transports urbains sont de plus souvent défaillants ou insuffisants. L'ensemble de ces raisons expliquent la croissance rapide des bidonvilles dans le tiers-monde et leur localisation au cœur même des villes et des mégapoles, et non plus seulement à leur périphérie.

3.3. Répartition des principaux bidonvilles dans le monde

Les bidonvilles de la planète se répartissent dans la quasi-totalité des villes des pays en voie de développement. Ce sont dans les mégapoles que l'immigration des ruraux pauvres revêt le caractère le plus spectaculaire du fait des concentrations humaines atteintes. En Inde, à Delhi, 4 millions d'habitants vivent dans les bidonvilles (jhuggi jhopandi en hindi, littéralement « groupes de cabanes »), soit le quart environ de la population de la ville. Ils seraient environ 12 millions à Bombay et 6 millions à Calcutta, ce qui représente dans les deux cas à peu près la moitié de la population de ces agglomérations. En Afrique sub-saharienne, plus des deux-tiers des populations urbaines vivent dans des bidonvilles. On retrouve ainsi de fortes concentrations de bidonvilles tout le long de l'immense conurbation qui, en Afrique, va de Lagos, au Nigeria, jusqu'à Abidjan, en Côte-d'Ivoire, et qui comprend de nombreuses villes de moins d'un million d'habitants.