Kiptchak ou Qiptchak
Peuple turcophone de l'Asie centrale qui, vassalisés par les Mongols, forma le khanat de la Horde d'Or (ou khanat de Kiptchak).
Ce peuple, que les Russes nommèrent Polovtses, les Grecs Comans (Komanoï), les Arabes Qoumâni, et les Hongrois Qoûn, faisait à l'origine partie du groupe des Turcs Kimäk, qui nomadisaient en Sibérie entre le moyen Irtych, l'Obi et l'Oural. Vers le milieu du xie siècle, se séparant du reste des Kimäk, ils émigrèrent vers l'Europe ; les chroniques russes les signalent pour la première fois en 1054 dans les steppes au nord de la mer Noire, où ils chassèrent devant eux les Petchenègues et les Oghouz Ouzoï ; après que ces derniers furent décimés par les Byzantins (1065), les Kiptchaks restèrent seuls maîtres de la steppe russe.
Vers 1120, ils assimilèrent des clans mongols de Khitan venus des confins sino-mandchouriens. Plus ou moins christianisés, les Kiptchaks restèrent ainsi maîtres des steppes russes jusqu'à l'invasion mongole conduite par les généraux de Gengis Khan, en 1222.
Lorsque, après avoir ravagé l'Azerbaïdjan et la Géorgie, Djebé et Subötai, que Gengis Khan avait chargés de poursuivre le sultan Mohammed du Kwarezm à travers la Perse, traversèrent le Caucase et pénétrèrent dans les steppes ukrainiennes, ils s'y heurtèrent à une coalition de peuples, Alains, Tcherkesses, Lezghiens, auxquels s'étaient joints les Kiptchak.
Après avoir d'abord obtenu la défection de ces derniers en leur offrant de partager leur butin, Djebé et Subötai écrasèrent successivement les autres coalisés ; ils se retournèrent alors contre les Kiptchaks et leurs alliés russes accourus de Kiev et de Smolensk, qu'ils taillèrent en pièces sur les rives de la Kalka (31 mai 1222) avant de regagner l'Asie centrale.
En 1236, sous la conduite du khan Batou, petit-fils de Gengis khan, et de Subötai (alors âgé de soixante ans), les Mongols déferlèrent de nouveau sur les steppes russes de la basse Volga, où en quelques années ils établirent leur domination.
Le khanat de Kiptchak : la Horde d'Or
Au terme de quatre années de campagne (1237 - 1241) à travers la Russie, la Pologne, la Silésie, la Moravie, la Hongrie (où ils défirent les armées du roi Béla IV) et la Roumanie, les armées de Subötai avaient non seulement établi leur domination sur les Kiptchak, mais ils avaient vaincu et vassalisé les principautés russes de Riazan, de Souzdal, de Vladimir, de Tver et de Kiev (incendiée en décembre 1240) jusqu'à la Galicie.
Certains Kiptchak, fuyant l'avance mongole, s'étaient réfugiés en Hongrie où ils se firent chrétiens. D'autres Kiptchak, plus nombreux, se soumirent aux gengiskhanides ; c'est cet élément turcophone (grossi d'éléments Bolghars et Oghouz) qui allait former le fond du peuplement du khanat mongol de Kiptchak, plus connu sous le nom de Horde d'Or (Altoun Ordou).
Apanage de la branche aînée des gengiskhanides, celle des descendants de Djötchi, le territoire de la Horde d'Or couvrait un espace immense : s'étendant depuis les steppes du nord de la mer Noire – où fut établie la capitale, Saray (près de l'actuelle Volgograd) –, il englobait le bassin de l'Oural, le cours inférieur du Don, du Donetz, du Dniepr et de la Volga, le Kazakhstan et la Sibérie jusqu'à l'Irtych au nord du lac Balkach.
Un des frères de Batou, Orda, reçut en apanage les régions au nord du Syr-Darya. Cet oulous vassal de la Horde d'Or reçut le nom de Horde Blanche (Aq Ordou).
Ainsi que l'a fait justement remarquer l'historien René Grousset, grand spécialiste de l'Asie centrale, l'histoire de la Horde d'Or présente une profonde différence avec celle des autres khanats fondés par les héritiers de Gengis khan. « Alors que dans les autres pays conquis par eux, les Mongols, après leur victoire, s'adaptaient plus ou moins au milieu et se mettaient tant bien que mal à l'école des vaincus », les descendants de Djötchi et de Batou restèrent des « khans de Kiptchak » ; tandis qu'en Chine Koubilaï et ses descendants devenaient Chinois, et qu'en Iran la dynastie des ilkhans fondée par Hülegü devenait une dynastie de sultans persans, « leurs cousins, les khans de la Russie méridionale, ne se laissèrent pas gagner par la civilisation slavo-byzantine. » Au contraire, le séjour dans les steppes russes des Mongols de la Horde d'Or, héritiers des Kiptchak, et comme eux « sans passé, sans mémoire », les laissa comme « des étrangers campés sur le sol européen, inassimilables, inassimilés. »
Mêlés à toutes les guerres de succession entre gengiskhanides, et même à beaucoup de conflits « étrangers » (ainsi, en 1265, ils intervinrent à l'appel du tsar des Bulgares contre l'empereur Michel Paléologue), les khans de la Horde d'Or finirent par perdre sur toutes leurs frontières. Après la mort des deux derniers grands khans, Özbeg (assassiné en 1340) et Berdibeg (1359), et la grande épidémie de peste (« peste noire ») qui décima le Kiptchkak en 1246-1247, la Horde d'Or tomba dans l'anarchie, plusieurs djötchides se disputant le pouvoir. Le prestige des Mongols, dont la vue seule suffisait, au siècle précédent, à mettre en fuite les armées des empereurs byzantins, ne résista pas à ces guerres intestines. Les princes russes cessèrent de venir à Saray pour rendre hommage aux khans, et même de leur payer tribut. Enhardis par la victorieuse résistance du grand-duc de Moscovie, Dimitri Donskoï, à une expédition de représailles des Mongols (1373), les Russes s'attaquèrent à Kazan (1376). Le 8 septembre 1378, Dimitri Donskoï remporta à la Voja une première victoire sur les armées du khan de Kiptchak, Mamaï. Deux ans après, il remporta un victoire encore plus décisive à Koulikovo (8 septembre 1380). La même année, les Génois s'emparaient de toute la Crimée jusqu'à Balaklava. C'est dans cette situation désespérée, qu'un quasi-usurpateur survint alors, et parvint à restaurer le pouvoir des Mongols sur la Russie.
En 1378, Toqtamich, un membre éloigné de la famille des djötchides, était parvenu, avec l'aide de Tamerlan et après une suite de guerres contre les héritiers légitimes du sixième successeur d'Orda, à assurer son pouvoir sur la Horde Blanche. Une fois maître de cette horde, ses ambitions s'accrurent. Profitant de ce que la Horde d'Or se trouvait aux prises avec la révolte des princes russes, Toqtamich s'empara du trône, reconstituant ainsi sous sa souveraineté l'union des deux Hordes de son lointain aïeul Djötchi, et exigea aussitôt des princes russes l'hommage traditionnellement rendu aux khans de Kiptchak. Enorgueillis par leur récente victoire de Koulikovo, les princes russes refusèrent. Toqtamich envahit alors les principautés russes et les obligea à rentrer sous le joug mongol (pillage de Souzdal et de Vladimir, incendie de Moscou, 26 août 1382). Plus tard, la défaite qu'il infligea aux Lituaniens et aux Polonais près de Poltava devait également leur rappeler brutalement qu'ils étaient ses vassaux et qu'ils lui devaient l'impôt.
La fin de la Horde d'Or
Souverain d'Ukraine et de Russie, khan de toutes les hordes des steppes de la Sibérie occidentale, immenses réserves d'hommes, Toqtamich, depuis sa capitale Saray, se crut assez puissant pour oublier qui l'avait fait roi et, bientôt lassé d'être considéré comme le client de Tamerlan, entreprit de défier son bienfaiteur. Lorsque Tamerlan, après avoir soumis la Perse, annexa l'Azerbaïdjan à son empire (1386), Toqtamich, sans déclaration de guerre, envahit la Transoxiane, souleva le Khwarezm et les hordes du Mogholistan, et, à la tête d'une armée grossie de nombreux contingents vassaux (Russes, Géorgiens, Bulgares), alla mettre le siège devant Boukhara. Revenu de Perse en toute hâte, Tamerlan le rejeta de l'autre côté du Syr-Daria et porta la guerre dans les territoires de la Horde Blanche (1391). Le 19 juin, après six mois de poursuite dans les steppes et trois journées de bataille féroce sur les bords de la Volga, l'armée timouride écrasait la coalition de Toqtamich, qui ne trouva son salut que dans la fuite vers les désert du nord. Tamerlan, partagea la Horde d'Or en trois khanats (Astrakhan, Kazan et Crimée) à la tête desquels il plaça trois princes gengiskhanides ennemis du vaincu.
Toqtamich, cependant, après avoir conclu contre Tamerlan une alliance avec les Mamelouks d'Égypte, parvint à se débarrasser rapidement des khans ainsi imposés à la Horde d'Or. En 1394, il avait repris assez de forces pour lancer de nouvelles agressions dans les territoires de l'empire timouride. Cela décida Tamerlan à conduire une seconde expédition contre le Kiptchak ; une nouvelle fois, il parvint à arracher la victoire (avril 1395) et poursuivit les débris de l'armée de Toqtamich en fuite jusqu 'aux portes de Kazan et de Moscou. Avant de rentrer en Perse, ses armées pillèrent les comptoirs génois et vénitiens de Crimée et de l'embouchure du Don, saccagèrent le Kouban et le Caucase, incendièrent Astrakhan et Saray, la capitale de la Horde d'Or, « une des plus belles villes qui existât », au témoignage du voyageur arabe Ibn Battouta.
Tamerlan rentré en Perse, Toqtamich parvint encore une fois à remonter sur son trône mais, mortellement atteinte, la Horde d'or était entrée dans une longue agonie. Profitant de sa désagrégation (création du khanat de Crimée vers 1430, du khanat de Kazan en 1445, et, enfin, du khanat d'Astrakhan en 1466), les Russes relevaient la tête. D'abord, Ivan III, grand-prince de Moscou (1462 - 1505) libéra ses États de la tutelle du khan Ahmed. Ensuite, le tsar Ivan IV (1553 - 1584) annexa les khanats de Kazan (1552), puis d'Astrakhan (1557). Enfin, les derniers vestiges de l'ancien empire mongol de Batou disparurent avec la conquête de la Crimée par Catherine II (1783).