États latins du Levant
Ensemble des États chrétiens fondés en Syrie et en Palestine par les croisés de la première croisade.
1. Naissance et organisation
1.1. Un royaume, une principauté et deux comtés
La première croisade a installé des barons occidentaux avec leurs contingents dans les principales villes conquises, qui deviennent le noyau d'autant d'États latins : à Édesse (1098), à Antioche (1098), à Jérusalem (1099) et plus tardivement à Tripoli (1109).
1.2. L'élément latin
D'Occident sont venus des chevaliers qui constituent l'armature militaire des nouveaux États, et des colons qui s'établissent dans les villes ou les bourgades, grâce à l'octroi de tenures en bourgeoisie, ainsi que des pèlerins qui se fixent auprès des Lieux saints ou dans les ports. Cet élément latin se juxtapose aux autres « langues » : l'aristocratie et la riche bourgeoisie musulmanes sont dépossédées ; certains seigneurs arméniens suspects sont aussi éliminés. À ces exceptions près, les différentes catégories de la population conservent leur statut antérieur et leurs institutions, dans le cadre des nouvelles seigneuries latines. Elles gardent aussi leur statut religieux. Les musulmans eux-mêmes peuvent exercer leur religion, et il n'y a pas de conversion forcée. C'est seulement au xiiie siècle d'ailleurs, que les négociations pour l'union des Églises et la propagande auprès des musulmans prendront une grande extension. Toutefois, les musulmans convertis fournissent assez de turcoples (archers) pour donner aux Latins leur cavalerie légère.
1.3. La prédominance du royaume de Jérusalem
Le royaume de Jérusalem, à partir de 1109, prend figure d'élément dominant dans la confédération des États latins : les rois ont souvent à intervenir dans les affaires de la principauté et des deux comtés, en particulier pour les défendre contre les musulmans. Dans chaque État, le système féodal est en vigueur, des barons, vassaux du roi, du prince ou des comtes, possédant des seigneuries, et des chevaliers tenant des fiefs qui assurent leur service aux barons. Le roi Amaury Ier de Jérusalem, vers 1163, fait adopter une assise en vertu de laquelle tous les chevaliers sont hommes liges du roi.
Le droit féodal fait l'objet, au xiiie siècle, de compilations dont l'ensemble forme les Assises de Jérusalem. Ce droit est appliqué, en ce qui concerne les fiefs et les hommes de fief, par la haute cour, pour les autres causes, par les cours des bourgeois, que président les vicomtes. Il existe aussi des Assises d'Antioche, qui sont adoptées par le royaume arménien de Cilicie. Le jeu des assises permet aux barons de braver à plusieurs reprises le pouvoir royal, princier ou comtal, au besoin en amenant les villes à adopter le régime communal (communes d'Acre, 1232 ; de Tripoli, 1288).
1.4. L'Église latine et les ordres militaires
L'Église latine s'est constituée en essayant de respecter l'organisation traditionnelle ; mais le patriarcat de Jérusalem s'annexe des territoires relevant de celui d'Antioche (archevêché de Tyr) et la papauté doit intervenir par l'envoi de légats. Les grands sanctuaires, desservis par des chapitres (Saint-Sépulcre), sont l'objet de pèlerinages actifs qui ont été à l'origine de la croisade. Deux communautés se mettent au service des pèlerins : l'une pour les secourir matériellement, les Hospitaliers ; l'autre pour les escorter sur des routes peu sûres, les Templiers. Toutes deux prennent un caractère militaire et deviennent vite des puissances politiques ; leur autonomie à l'égard du clergé séculier leur aliénera vite celui-ci.
1.5. Le commerce
Lors de l'occupation des villes de la côte, les cités, surtout italiennes, qui ont fourni leurs flottes pour les bloquer, ont obtenu des comptoirs dans chacune d'entre elles. Au xiiie siècle, les consuls génois ou pisans et les bailes vénitiens se comportent en pleine indépendance à l'égard des pouvoirs locaux. Par ces comptoirs s'effectue un actif trafic d'échanges entre Orient et Occident (draps flamands et italiens; épices, soie et coton venus par Mossoul et Damas, etc.). Les flottes qui amenaient les pèlerins n'ont pas tardé, en effet, à détourner vers la côte du Levant les courants commerciaux qui aboutissaient à Constantinople et en Égypte, et Acre sera, jusqu'à sa destruction en 1291, une des grandes places du commerce international.
2. Le royaume de Chypre
Les institutions des États de la côte syrienne serviront de modèle à celles du royaume de Chypre, fondé à la suite de la conquête de l'île par Richard Cœur de Lion (1189) et où les Assises de Jérusalem acquièrent force de loi en 1369, à la suite de la révolte des hommes liges contre le roi Pierre Ier.
Le régime seigneurial existait à Chypre comme en Syrie, mais il s'était modelé sur le système byzantin, d'ailleurs très rigoureux : les serfs ou parèques, astreints à des redevances et à des corvées très lourdes, bénéficient à partir du xve siècle d'affranchissements étendus. Les bourgeois grecs des villes, justiciables à Nicosie de la cour du vicomte, défavorisés par rapport aux Latins et aux Syriens qui s'y sont réfugiés, sont eux aussi affranchis à cette époque.
La subordination du clergé grec au clergé latin y pose des problèmes plus graves qu'en Terre sainte : une bulle d'Alexandre IV flanque chaque évêque latin d'un évêque grec, qui est son vicaire et dont relèvent les prêtres de rite grec.
Chypre hérite en partie du rôle commercial qui a été celui des places de la côte d'Asie grâce au blocus prononcé par les papes contre les pays soumis au sultan d'Égypte. Les flottes commerçantes relâchent à Famagouste, siège de colonies génoise et vénitienne, et s'y approvisionnent en denrées venues des Indes, de Chine et du Turkestan. Ce rôle commercial de Famagouste ne résistera pas à la destruction d'Ayas (ou Lajazzo) et du royaume arménien de Cilicie et à l'occupation de Famagouste par les Génois (1383).
3. Influences et vie intellectuelle
Les institutions des pays du Levant, et notamment les Assises de Jérusalem, influeront sur celles des États fondés dans l'Empire byzantin après 1204, et surtout sur celles de la principauté d'Achaïe, où l'on codifiera vers 1325 les Assises de Romanie.
Une vie intellectuelle active anima les États du Levant : l'historien Guillaume de Tyr, le poète Philippe de Novare en sont les principaux représentants, avec les grands juristes. Des traductions d'auteurs orientaux y furent entreprises, et les Latins apprirent en grand nombre l'arabe et le grec.
Pour en savoir plus, voir les articles les croisades, Empire byzantin : histoire.
BEAUX-ARTS
L'architecture religieuse des xiie-xiiie s. relève en grande partie des modèles français, romans (Sainte-Anne de Jérusalem) et gothiques (Sainte-Sophie de Nicosie, Saint-Nicolas de Famagouste). Les modèles occidentaux furent moins strictement suivis dans l'architecture militaire, comme en témoigne le puissant krak des Chevaliers, de conception originale. L'art gothique français s'exprimera de nouveau pleinement aux xive et xve s., à Rhodes notamment, ainsi qu'à Chypre (château de Buffavent).