Le professeur Baulieu isola du DHEA-S en 1981 dans le cerveau du rat et dans celui de la souris, des animaux chez lesquels la substance n'est pratiquement pas retrouvée dans le sang, ce qui l'a fait parler de « neurostéroïde », fabriqué directement dans le cerveau. Cependant, selon les experts de l'Afssaps, « les fonctions propres » de ce précurseur des hormones masculine et féminine « n'ont pas été établies ». Le groupe d'experts affirmait : « Il n'est pas possible, en l'état actuel des connaissances, d'identifier une concentration de base de DHEA en deçà de laquelle un déficit avec retentissement clinique justifierait un traitement substitutif. »

Partant de l'idée que la diminution de plusieurs fonctions cérébrales pouvait être en rapport avec la baisse du DHEA-S, le professeur Baulieu entreprit d'étudier avec son confrère Samuel Yen, de l'université de Californie à San Diego, les effets d'un apport de DHEA par voie orale en quantité modérée, sachant qu'elle serait largement transformée en DHEA-S dans l'organisme. Il appliquait en quelque sorte la même stratégie que celle du traitement hormonal substitutif de la ménopause. La DHEA était administrée à faible dose (pas plus de 50 milligrammes par jour) afin d'éviter « la formation d'hormones sexuelles actives circulantes », risquant de favoriser certains cancers. Les premiers essais chez des personnes âgées montraient une augmentation du « bien-être », effet que Baulieu attribua à l'action stimulante exercée par le DHEA-S, qui se lie et agit sur les récepteurs des neurotransmetteurs. Appuyés par l'Inserm, Émile-Étienne Baulieu et ses collaborateurs avaient apporté « leurs voix à la candidature du sulfate de DHEA comme marqueur individuel du vieillissement humain » dans un article publié à la toute fin de l'année 1994.

Dès 1994, les autorités sanitaires américaines autorisent la DHEA comme complément alimentaire, ce qui entraîne « la commercialisation d'un produit non soumis à des normes pharmaceutiques au plan de la qualité, sans précision de dose ou de population cible », comme le résume le rapport du groupe d'experts de l'Afssaps du 3 juillet 2001. À partir de 1995, l'un des pionniers de la recherche sur la DHEA aux États-Unis, Arthur Schwartz (université Temple, Philadelphie), s'est d'ailleurs élevé contre l'engouement pour la prise de ce produit et sa promotion. Il a dénoncé le fait que les industriels, soutenus par certains médecins, exposent un grand nombre de gens à une molécule dont on ignore les effets à long terme. Substance naturelle et découverte depuis plusieurs dizaines d'années, la DHEA n'est pas brevetable en tant que telle. Sa synthèse est aisée et peu onéreuse, d'où l'explosion des propositions sur le marché américain et sur l'Internet.

Pilule de jouvence ?

Dans un article publié en janvier 1995 dans les Comptes-rendus de l'Académie nationale des sciences (France), Étienne-Émile Baulieu reconnaissait prudemment que « la baisse d'un seul composé ne peut être, au plus, responsable que d'une partie des difficultés survenant au cours du vieillissement, et que tout le monde ne répondra pas de la même façon à sa compensation ».

Soutenus notamment par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, mais aussi par un producteur de champagne et le fabricant de cosmétiques L'Oréal, les travaux du professeur Baulieu allaient se poursuivre avec la mise sur pied de l'essai « DHE-g ». Sous l'égide de la Fondation nationale de gérontologie, les professeurs Étienne-Émile Baulieu et Françoise Forette lancèrent en mars 1998 un appel public à des volontaires âgés de 60 à 80 ans pour tester l'action de la DHEA sur les effets du vieillissement. Les 280 candidats ne devaient pas recevoir de traitement par des hormones sexuelles et ne devaient pas présenter de cancer du sein, de l'utérus ou de la prostate. La moitié d'entre eux, tirés au sort, prirent quotidiennement 50 milligrammes de DHEA, tandis que les autres reçurent un placebo, mais aucun candidat ne fut informé du produit qui lui était donné. Cette étude était la première de grande envergure sur le sujet. Les résultats au bout d'un an de traitement furent publiés en avril 2000 dans la revue de l'Académie des sciences américaine.