Journal de l'année Édition 2000 2000Éd. 2000

La Côte d'Ivoire en quête d'un nouveau « miracle »

À dix mois de la présidentielle dont il avait voulu mettre hors jeu le candidat favori, Alassane Ouattara, braquant une opinion déjà exaspérée par la corruption, le président ivoirien Henri Konan Bédié est renversé le 24 décembre par l'armée, qui le laisse partir à Lomé. Orchestré par le général Robert Gueï, ce putsch militaire sans effusion de sang n'a suscité qu'une molle réprobation de la part de la communauté internationale, la France elle-même ne manifestant aucun regret pour un président et un régime qui ont vidé de son sens le « miracle ivoirien ». Il revient aux militaires de contribuer à la renaissance de ce miracle en rendant le pouvoir aux civils.

Dans un communiqué commun signé le 6 décembre avec son homologue guinéen Conté, le président ivoirien Henri Konan Bédié, en butte à des pressions internationales croissantes en raison du traitement réservé aux opposants dans son pays, appelait au respect du principe de « non-ingérence dans les affaires intérieures des États ».

Le président ivoirien revenait à la charge dans son traditionnel discours à la nation de fin d'année, prononcé le 22 décembre devant l'Assemblée nationale à Abidjan, où il avait retrouvé des accents patriotiques pour exalter la défense de l'indépendance de la Côte d'Ivoire, menacée selon lui par des ingérences dans les affaires intérieures du pays. Par une cruelle ironie, c'est cette même ingérence que le président Bédié, entre-temps destitué par un putsch militaire, est allé quémander quelques jours plus tard chez ses voisins africains.

Un président déchu

Une démarche désespérée et sans doute vouée à l'échec, témoignant de l'imperméabilité du président déchu au cours d'une histoire africaine qui lui indique la porte de sortie sans espoir de retour. Enfermé dans ses certitudes d'un autre âge, il ne peut plus guère compter en effet, pour revenir au pouvoir, sur des pratiques clientélistes qui n'ont plus cours, du moins ouvertement, sur un continent africain où l'ONU esquisse un timide retour, en envoyant par exemple ses forces de paix dans la République démocratique du Congo ou en Sierra Leone. Le retour à Freetown du président de Sierra Leone démocratiquement élu, Ahmad Kabbah, dans la foulée de la Force de paix africaine sous l'égide de l'ONU, autorise certes certains espoirs à M. Bédié. Mais la communauté internationale n'a que très mollement réagi au coup d'État militaire qui renversait son régime le 24 décembre ; et l'ingérence de la France ne semble pas devoir aller au-delà de la mise à sa disposition de l'hélicoptère qui l'évacuait le lendemain même d'Abidjan vers Lomé, première étape sur la route de l'exil. La France, qui a depuis quelques années déjà changé, bon gré mal gré, la nature de ses relations avec les pays de son ancien « pré carré » africain, ne semble d'ailleurs pas mécontente d'être placée devant le fait accompli de la chute du régime à Abidjan, aboutissement logique d'un processus de décomposition qui doit beaucoup à M. Bédié lui-même, accusé d'avoir dilapidé les fruits du « miracle ivoirien ». Convaincu qu'il avait le charisme de son prédécesseur feu Houphouët-Boigny, M. Bédié fut hermétique jusqu'au bout au mécontentement du peuple ivoirien. Ses dernières tentatives pour sauver son régime sont venues trop tard : ainsi, dans son discours du 22 décembre, il avait esquissé une ouverture, en promettant l'amnistie des leaders d'un grand parti de l'opposition ivoirienne, le Rassemblement des républicains (RDR), incarcérés en vertu de la loi anti-casseurs après la manifestation violente du 27 octobre à Abidjan.

L'affaire Ouattara

Mais il n'a rien voulu céder quant à l'essentiel, à savoir le sort du dirigeant, en exil en France, de ce parti, l'ancien Premier ministre Alassane Ouattara, candidat favori à la présidentielle d'octobre 2000 et dont M. Bédié empêchait le retour en Côte d'Ivoire, au nom de doutes sur sa nationalité ivoirienne : une peine de prison attendait en effet à Abidjan M. Ouattara, condamné par contumace « pour faux et usage de faux » par un régime qui lui reprochait ses origines burkinabé et en tirait prétexte pour lui barrer la route à la présidence, exacerbant ainsi les passions sur l'arène politique ivoirienne.