Journal de l'année Édition 2000 2000Éd. 2000

TotalFina-Elf : une fusion amicale

Le 12 septembre, un accord intervient entre TotalFina et Elf, mettant un terme à une bataille boursière de dix semaines entre les deux grands groupes pétroliers français. Cette fusion, qui pour être « amicale » n'en a pas moins permis à TotalFina d'avaler son rival, donne naissance à un groupe qui se hisse au quatrième rang mondial et se propose de relever le défi de la mondialisation en respectant l'identité d'Elf et en évitant autant que possible les dommages colatéraux sur le plan social.

Dans la saga de ces géants de l'économie mondiale qui se livrent une guerre féroce dont la seule loi est celle du plus fort, condamnant les plus faibles à se laisser avaler par les ogres, on retiendra sans doute le caractère « amical » de la fusion qui a donné naissance à TotalFina-Elf, un certain dimanche 12 septembre. Accueilli avec soulagement après dix semaines d'âpres batailles boursières, l'accord intervenu entre les dirigeants des deux grands de la pétrochimie française, Thierry Desmarest, pour TotalFina, et Philippe Jaffré, pour Elf, sauve en effet les apparences d'une « fusion amicale » qui hissera le groupe ainsi créé au quatrième rang mondial sans bafouer l'honneur et l'intégrité du perdant. Un climat consensuel entretenu par le concert de satisfecit qui a salué la fusion, depuis le gouvernement, ouvertement favorable dès le début des hostilités à TotalFina, jusqu'aux acteurs sociaux, habituellement plus sévères à l'égard des grandes manœuvres d'un capitalisme français s'adaptant aux exigences de la mondialisation et qui attendent de juger la direction du nouveau groupe sur ses actes. Mais, au-delà des apparences de « fair-play », le choc des deux titans français, de force à peu près égale, s'est bel et bien conclu par l'absorption d'Elf par TotalFina, un scénario que l'on n'aurait jamais envisagé, dans ce sens du moins, quelques années plus tôt. Si Philippe Jaffré a rendu les armes pour signer la « paix des braves » après quelques heures seulement d'une négociation menée par les médiateurs nommés par chacun des deux groupes, c'est bien parce qu'il avait épuisé toutes les ressources en son pouvoir pour résister à la pression boursière exercée sur les marchés depuis le 4 juillet. Le conseil d'administration de TotalFina avait alors décidé de lancer son offre publique d'échange (OPE) sur Elf, qui riposte deux semaines plus tard par une contre-OPE sur son agresseur. S'ensuit dès lors un feuilleton boursier qui tient en haleine pendant tout l'été la communauté financière mais aussi, ce qui est plus rare, une opinion publique dont l'intérêt avait déjà été aiguisé, il est vrai, par la gestion au parfum de scandale de Loïk Le Floch-Prigent, le prédécesseur de M. Jaffré à la tête d'Elf. Alourdi par les incohérences stratégiques de l'État actionnaire de l'entreprise jusqu'à sa privatisation en 1993, à l'initiative d'Edouard Balladur, et menée de main de maître depuis par M. Jaffré, ce passif pèsera sans doute dans le dénouement du conflit en faveur de Total. Le dirigeant d'Elf a certes redressé la barre, mais il doit quitter aujourd'hui le navire à la dérive qu'il avait su renflouer et assainir, en préservant, au mieux, toujours les intérêts des actionnaires, grands gagnants de cette opération. Opposant une résistance inattendue à l'offensive de M. Desmarest, M. Jaffré a manœuvré de telle sorte qu'il obtiendra au bout du compte pour ses actionnaires une surenchère de 26 % par rapport au cours de clôture d'Elf avant le lancement de l'OPE de TotalFina, et de 9,6 % par rapport à l'offre initiale de son rival. Le relèvement de cette offre, d'un montant total de 52,6 milliards d'euros (345 milliards de francs), figurait d'ailleurs au cœur des négociations menées dans la plus grande discrétion par les quatre administrateurs désignés, deux pour Elf – le P-DG de Lafarge, Bertrand Collomb, et celui de la BNP, Michel Pébereau –, deux pour TotalFina – le P-DG d'Alcatel, Serge Tchuruk, et le président du conseil de surveillance de Suez-Lyonnaise des eaux, Jérôme Monod –, sous l'égide de l'ancien président d'Air Liquide, Édouard de Royère, grand médiateur dont le protocole d'accord établi une semaine auparavant avait servi de base de discussions.