80 minutes de bonheur
En l'espace d'une semaine, la France se prit à rêver. « Et s'ils nous refaisaient le coup ? » Et si, un an après les footballeurs, les rugbymen tricolores devenaient à leur tour champions du monde ? Si Dominici, Ibanez, Benazzi, N'Tamack, Skrela et toute leur équipe, elle aussi bariolée, se faisaient une petite place à côté des Zidane, Thuram, Djorkaeff et Jacquet au panthéon du sport français, dans le cœur d'un pays soudain supporter ?
Le rêve s'est brisé sur un pack australien de fer. En finale de la IVe Coupe du monde de rugby, le XV de France, battu 35 à 12, n'a pas fait illusion. Mais les Bleus avaient une excuse. Ils avaient déjà joué leur match. Et comment ! La demi-finale France-Nouvelle-Zélande, que beaucoup de commentateurs enthousiastes ont qualifié de « match du siècle », restera dans les annales du rugby comme l'une des rencontres les plus passionnantes de l'histoire. Intensité, suspense, brio, aucun ingrédient n'a manqué à la plus lourde défaite jamais encaissée par les All Blacks, humiliés par 43 à 31. Peut-être « match du siècle », la déculottée néo-zélandaise est au moins l'événement sportif d'une année charnière, coincée entre Coupe du monde et Euro de foot, entre jeux Olympiques d'hiver et ceux d'été.
Qui, en effet, dans les stades, sur les pistes ou les terrains du monde a rivalisé avec les 80 minutes de pur bonheur offertes par la « bande à Skrela » ? Lance Armstrong, le vainqueur miraculé du Tour de France ? Son parcours superbe de courage et d'abnégation depuis la découverte d'un cancer généralisé en 1996 a de quoi en effet forcer le respect. Mais la défiance inévitable nourrie envers le monde du cyclisme depuis le tristement fameux Tour 98 empêche d'applaudir sans réserve.
Michael Johnson, l'athlète superlatif, vainqueur à Séville d'un neuvième titre mondial qui en fait l'égal de Carl Lewis ? On opposera au nouveau recordman du monde du 400 m la même objection qu'à Armstrong : la chute de Merlene Ottey, Lindford Christie ou Dennis Mitchell, pris à quelques semaines d'écart dans les filets de la lutte antidopage, a porté un coup sévère à la crédibilité de l'athlétisme et de ses acteurs. Dommage pour Johnson, mais aussi pour Gebreselassie, pour El Guerrouj, pour Greene, héros des Championnats du monde andalous.
Ian Thorpe, la torpille australienne des bassins, Damien Touya et ses copains sabreurs champions du monde ? Oui, ces deux-là ont assurément marqué leurs sports respectifs. Ils devraient être les héros de Sydney, lors de jeux Olympiques où la natation et l'escrime, enfin, seront en pleine lumière.
Showman repenti d'un sport qui vit, lui, sous les feux de la rampe, Andre Agassi a mérité sans conteste le titre de tennisman de l'année 1999. Revenu de l'enfer d'une 142e place mondiale, le joueur de Las Vegas s'est offert une saison de rêve ponctuée par un titre à Roland-Garros et à l'US Open. Il est le premier homme, depuis Rod Laver en 1968, à s'être imposé dans les quatre tournois du grand chelem. À l'image d'Agassi, Manchester United a réalisé un véritable carton plein en 1999 : champion d'Angleterre et vainqueur de la Cup, le club des Midlands a décroché la Ligue des champions, la première d'un club anglais depuis leur mise au ban consécutive au drame du Heysel. C'est, diront certains, la moindre des choses pour le club le plus riche de la planète qui s'enorgueillit d'un chiffre d'affaires de près de 900 millions de francs et de dizaines de milliers de supporters à travers le monde.
Bourreaux des rugbymen français en finale de la Coupe du monde, les Australiens ont également privé le tennis hexagonal d'un 9e titre en Coupe Davis. Les sportifs des antipodes ont le vent en poupe, à quelques mois de l'ouverture des jeux Olympiques, en septembre 2000, dans leur jardin de Sydney.