Journal de l'année Édition 1999 1999Éd. 1999

Il y a enfin le mauvais vent qui souffle sur l'économie : vent du Pacifique qui atteint tardivement l'Europe de l'Ouest via la Russie. Si tardivement d'ailleurs qu'on ne l'attendait plus vraiment et qu'on s'était habitué, sous les commentaires enjoués de M. Strauss-Kahn, à vivre en France comme dans une sorte de village d'Astérix de la croissance maintenue. Longtemps niés, les signes de ralentissement se font évidents à partir de l'été, fragilisant les hypothèses budgétaires du pouvoir et redonnant crédibilité aux sempiternelles exhortations de l'opposition à la réduction du train de vie de l'État et à la modération de la pression fiscale. Longtemps incapables de gérer les conséquences politiques de leur défaite électorale de 1997, les droites paraissent dans les derniers mois de 1998 relever la tête et sortir peu à peu de leur enfer. Cette remise en forme, elles la doivent d'abord au rétablissement de l'autorité présidentielle, de l'autorité légitime. Après les longs mois d'une éclipse de majesté, Jacques Chirac imprime son style à la cohabitation, un style qu'il veut à la fois débonnaire et déterminé, ferme et souriant, distant de la politique politicienne et proche des citoyens. Par petites touches, presque insensiblement, le général vaincu se mue en opposant de moins en moins inavoué, installé au cœur du pouvoir et bien décidé à ne laisser sa place à personne. Jacques Chirac joue sur les réserves de loyalisme enfouies au cœur de la droite profonde. Les vices de son camp le servent. La désorganisation des droites, leurs querelles internes, leur peu d'appétence pour les procédures démocratiques leur interdisent tout passage de relais organisé du vaincu de 1997 vers un nouveau champion. Trompe-l'œil destiné à apaiser le besoin d'unité et à éluder l'aspiration démocratique des électeurs, l'Alliance pour la France, née un soir de juin de l'initiative conjointe de Philippe Séguin et de François Léotard, n'est rien d'autre qu'un cartel d'états-majors incapable de mettre en place des procédures démocratiques de sélection d'un candidat.

Dans ce chaos ripoliné, le légitimisme présidentiel apparaît comme le seul rempart contre le désordre et la décomposition. En France, c'est le pouvoir qui rend légitime et non la légitimité qui donne le pouvoir. Jacques Chirac le sait, le sent, l'éprouve au quotidien : il a été président pour le pire, il le sera pour le meilleur. « Fortune, infortune, fortune ». Se succédera-t-il à lui-même ? Nul ne peut le dire, mais personne ne doute qu'il sera candidat à sa propre succession. Tout l'y pousse : son tempérament d'éternel bretteur, « ses amis » du RPR et de l'UDF, dont aucun n'est ni en mesure de lui succéder ni en humeur de laisser à un autre le soin de le faire, les parlementaires qui font le gros dos sous l'orage et sentent confusément que toute tentative visant à substituer un homme nouveau au président sortant serait vouée à l'échec et menacerait encore un peu plus des positions électorales fragiles.

L'hommage au roi Jacques

Malgré ses faiblesses persistantes, le système des partis modérés se réorganise en profondeur sans pour autant remettre en cause la prééminence présidentielle. Bien au contraire. Au RPR, la guerre des présidents – celui de la République contre celui du Parti – se règle par un échange de bons procédés. Humilié en février au Conseil national de son mouvement par l'immense ovation qui accueille le nom de Jacques Chirac et par sa propre impuissance à faire rebaptiser le RPR, Philippe Séguin trouve le salut en mettant genou à terre et en renouvelant au roi Jacques l'hommage qui lui est dû. Loyalisme aussitôt récompensé par un soutien au député des Vosges pour la présidence du RPR, et pour la tête de liste de l'Alliance aux élections européennes. La mansuétude du prince est fille de son autorité retrouvée. Le nouvel ordre partisan des droites passe par la remise en cause du paritarisme RPR/UDF. Vingt ans de travail politique pour faire de la confédération libérale l'équivalent du RPR sont anéantis au mois de juin par le divorce solennel et dérisoire du couple Bayrou-Madelin. Résultat, le RPR installe sur l'ensemble de l'opposition une hégémonie sans partage, comme au bon vieux temps. Imitant la gauche plurielle, l'opposition de droite s'organise comme une flotte de navires de guerre articulés autour d'un porte-avions amiral, le PS là, le RPR ici. Entre Lionel Jospin et Jacques Chirac, maîtres quasi absolus des deux grands vaisseaux, la symétrie de posture est parfaite.