Subtilités italiennes
Le gouvernement de l'Olivier dirigé par Romano Prodi, que les Italiens avaient porté au pouvoir avec les élections du 21 avril 1996, n'aura pas réussi à battre le record de longévité – un peu plus de trois ans – établi au début des années 80 par Bettino Craxi, l'ancien leader socialiste actuellement en exil volontaire en Tunisie.
M. Prodi n'est pas parvenu à trouver un second souffle après avoir brillamment atteint le principal objectif de sa coalition, faire en sorte que l'Italie figure parmi les pays fondateurs de la monnaie unique. Il avait pour cela imposé au pays une politique fiscale d'une sévérité tout à fait inhabituelle.
Entre le 1er mai 1998, date de naissance de l'euro, et le jour de la chute de son gouvernement, le 9 octobre, M. Prodi a été soumis à un assaut médiatique quotidien de la part de la composante d'extrême gauche de sa coalition, le parti de la Refondation communiste (RC) de Fausto Bertinotti. Cette petite formation, qui a recueilli aux dernières élections 8 % des suffrages, n'a jamais fait partie de l'Olivier ri du gouvernement. Elle a simplement conclu un accord de désistement aux élections qui ont porté au pouvoir M. Prodi et appuyé la majorité afin de faire barrage à la droite de Silvio Berlusconi – chef du parti entrepreneurial Forza Italia (FI) – et Gianfranco Fini – leader de l'Alliance nationale (AN), parti ouvertement néofasciste jusqu'en 1994.
Depuis sa naissance, le gouvernement Prodi a dû faire, d'un côté, maintes entorses à son programme économique et social pour satisfaire les exigences de RC, et, de l'autre, s'appuyer sur le vote de l'opposition en politique étrangère – intervention en Albanie, élargissement de l'OTAN, considérés comme « inadmissibles » par le très anti-atlantique RC. Lâché finalement par M. Bertinotti, lui-même prisonnier du radicalisme de sa base, M. Prodi n'a pas su être aussi bon politicien qu'il avait été bon économiste. Il a hésité entre un appel à la solidarité de RC, auquel il ne pouvait pourtant pas offrir la rupture unilatérale du traité de Maastricht qu'il exigeait, ou à celle du « nouveau centre » créé par l'ancien président de la République Francesco Cossiga.
Ce rassemblement d'une quarantaine de députés qui ont quitté l'opposition de droite pour fonder l'Union démocratique et républicaine (UDR) était tout prêt à rejoindre la coalition de centre gauche, si on lui donnait satisfaction sur quelques points symboliques et si on lui attribuait deux ou trois portefeuilles ministériels. M. Prodi refusa, misant toutes ses cartes sur la scission au sein de RC entre les « réalistes » progouvernementaux de M. Cossutta, un ancien dirigeant de l'aile prosoviétique du PCI, et les gauchistes de M. Bertinotti. Ce fut un échec : il manqua une voix au moment du vote de confiance à la Chambre des députés et le gouvernement fut mis en minorité.
Nous étions à la mi-octobre. Deux voies s'ouvraient alors aux forces de centre gauche qui avaient gagné les élections de 1996 : ou retourner devant les électeurs, mais sans l'accord de désistement avec RC qui avait été déterminant pour battre la droite ; ou bien accepter de tourner la page de l'Olivier pour signer un accord avec l'UDR, ce qui renouait avec le type de coalitions en vigueur du temps de la loi électorale proportionnelle. Le choix de la deuxième solution, que M. Prodi ne pouvait pas incarner, a conduit Massimo D'Alema, chef des ex-communistes devenus Démocrates de gauche (DS), à la tête du gouvernement le 23 octobre 1998. « C'est un centre gauche plus incisif, plus efficace et plus avancé que le précédent », commenta le quotidien La Repubblica, très proche de la coalition de l'Olivier. Et qui présente une extraordinaire nouveauté : la fin de l'anomalie italienne, selon laquelle le leader du premier parti du pays – DS – ne peut pas, faute de son passé communiste, diriger le gouvernement.
Mais l'UDR ne conçoit pas son avenir dans une alliance stratégique avec la gauche. L'objectif déclaré de M. Cossiga est de créer une alternative à l'actuelle droite « libérale et populiste » pour les élections de l'an 2001. L'UDR, qui se veut « libérale et conservatrice », reprendra donc sa compétition avec le centre gauche dès qu'elle aura réuni les forces nécessaires. Dans l'attente, elle entend faire un bout de chemin avec les partis de l'Olivier, dans un esprit de loyale hostilité. Le problème de M. Cossiga est qu'il a réuni autour de lui un personnel politique – pour l'essentiel d'anciens démocrates-chrétiens –, mais qu'il n'a pas vraiment d'électeurs. Les parlementaires de son groupe ont été élus en 1996 avec le Pôle de la liberté, c'est-à-dire avec M. Berlusconi. Aujourd'hui, le patron de Fininvest crie « au vol et à la trahison ». Il n'a pas entièrement tort. Car M. Cossiga veut l'évincer de la scène politique et récupérer, sur l'effondrement inévitable de FI oui s'ensuivrait, les troupes électorales qui lui font défaut.