Sports 98 : Le sport rend fou
Et un et deux et trois, zéro ! Il n'y a rien à faire. Au moment de clore l'exercice 1998, c'est le slogan qui revient, lancinant. Et un et deux et trois, zéro ! Quelques mois après les faits, le souvenir de la finale « historique », « héroïque », conclue sur un triplé français face au Brésil, garde toute sa force et sa vivacité. Parmi les images de l'année, celle des Champs-Élysées en liesse un jour d'été a marqué tous les esprits. Dans les sondages de popularité, Aimé Jacquet et Zinedine Zidane, élus hommes de l'année par une belle brochette de médias, jouent les premiers rôles. Jamais, en France, un événement sportif n'avait provoqué tant d'intérêt et tant d'émotion.
Euphorisante pour tout un pays, la victoire de l'équipe de France de football dans « sa » Coupe du monde n'est pas seulement l'apothéose d'une belle aventure sportive. Elle est devenue un phénomène de société, avec son lot d'excès. La France plurielle et « multiraciale » est-elle plus tolérante depuis le 12 juillet 1998, depuis qu'elle s'est découvert des héros à la peau noire ? Les Français, peuple de peu de goût pour les choses du sport, aiment-ils plus le foot depuis qu'ils sont « champions du moooonde » ? Peut-être en ont-ils l'illusion.
Événement planétaire, motif de fierté nationale, la Coupe du monde n'a pu toutefois couvrir de ses échos ce que l'on peut sans hésitation qualifier de plus gros scandale de l'histoire du sport. À peine une semaine après la finale du Stade de France, les consternantes mésaventures du peloton du Tour de France sont venues atténuer l'euphorie ambiante. Les révélations en cascade sur l'étendue du dopage dans le milieu du cyclisme et d'autres disciplines ont provoqué un véritable choc, une grande tristesse parmi les amoureux du sport. Richard Virenque, chouchou des passionnés de la Grance Boucle, est devenu le héros malgré lui, le pitoyable symbole d'un fait divers sordide. Magnifique et méritée, la victoire finale de Marco Pantani dans le Tour 1998 restera pourtant à jamais anecdotique, et le vélo, privé du grand ménage qui s'imposait après un tel déballage de ses sinistres pratiques, s'est pour longtemps discrédité.
Le sport rend fou, le sport rend tricheur, le sport rend malhonnête... Tous dopés ! Tous vendus !... C'est la conclusion rapide que l'on pourrait tirer de cette triste affaire ainsi que des accusations tardives d'un vieux ponte du CIO sur la corruption de certains membres de la vénérable institution. Qu'on se le dise : les jeux Olympiques seraient à vendre. On pourrait se les offrir avec des millions comme on peut se payer une victoire à coup de fioles d'EPO...
Il y eut heureusement, en cette année 1998, des sportifs de talent, de véritables héros, pour venir contredire ces raccourcis rapides. À Nagano, Hermann Maier ou Bjorn Daehlie ont marqué de leur empreinte les derniers jeux Olympiques du siècle, tandis que Jean-Louis Crétier, trente ans après Jean-Claude Killy, offrait au ski français le plus beau des titres : celui de la descente. Sur d'autres pistes, Marion Jones a montré qu'elle n'avait rien à envier à son aîné Carl Lewis ; et Christine Arron a rapporté une rassurante nouvelle à deux ans des Jeux de Sydney : la France peut briller sans Marie-José Pérec.
Françoise Chaptal