Le clonage humain
Annoncée en février 1997, la naissance de Dolly, premier mammifère cloné à partir d'une cellule adulte, provoqua une onde de choc planétaire. Chefs d'État, Vatican, comités d'éthique, les voix les plus diverses s'élevèrent pour empêcher que cette pratique ne soit appliquée à l'homme. Moins de deux ans plus tard, le ton avait singulièrement changé, et on commençait à envisager, moyennant surveillance, le recours ponctuel au clonage humain. Même si le taux de réussite de cette technique reste extrêmement bas, la reproduction à l'identique d'êtres humains, pratiquée au cas par cas et au prix fort, est bel et bien imaginable. Les objectifs de ceux qui estiment raisonnable de franchir ce « point de non-retour » sont de deux ordres : constituer des banques d'organes compatibles avec leurs receveurs et pallier certaines formes de stérilité.
Dans les semaines qui suivirent l'annonce de la naissance de Dolly, une gigantesque controverse se déclencha sur la légitimité de cette technique, qui menait tout droit aux fantasmes les plus inquiétants qu'ait jamais contés la science-fiction : le clonage d'êtres humains ; l'enfant terrible de la science était à portée d'éprouvette, il fallait à tout prix en interdire l'application à l'homme. Dans une résolution votée le 12 mars 1997, le Parlement européen affirmait ainsi : « Le clonage des êtres humains, que ce soit à des fins expérimentales (traitement de la stérilité, diagnostic avant implantation, transplantation de tissus) ou à toute autre fin, ne saurait, en aucune circonstance, être justifié ou toléré par une société humaine. » Le 22 avril, le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE, France) se prononçait à son tour : le clonage humain « ne peut susciter qu'une condamnation éthique véhémente, catégorique et définitive. Une telle pratique, mettant en cause de manière générale l'autonomie et la dignité de la personne, constituerait une grave involution morale dans l'histoire de la civilisation ».
En juin, les membres de la Commission consultative américaine sur la bioéthique (NBAC) concluaient quant à eux : « Pour l'instant, il est moralement inacceptable pour quiconque, dans le secteur public comme privé, aussi bien dans la recherche que dans les applications médicales, de tenter de créer un enfant par clonage. » Le 11 novembre 1997, enfin, l'UNESCO adoptait en séance plénière une Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'homme, dans laquelle était stipulé que « des pratiques qui sont contraires à la dignité humaine, telles que le clonage à des fins de reproduction d'êtres humains, ne doivent pas être permises ». Seul le « pour l'instant » de la NBAC sonnait alors, dans ce concert de protestations, comme un léger bémol.
De Dolly...
Un an plus tard, le climat a singulièrement changé. Certes, le consensus moral conduisant à la proscription du clonage humain n'a pas disparu. Mais les brèches sont déjà là. Les textes rédigés par les divers conseils et comités n'ont pas force contraignante, à l'exception d'un protocole voté par le Conseil de l'Europe en janvier 1998 et signé par dix-neuf pays, qui prévoit des sanctions pour les contrevenants à l'interdiction du clonage humain. Outre-Atlantique, seul l'État de Californie a pris des dispositions légales visant à prohiber cette technique. Et un nombre croissant de voix autorisées, émanant pour la plupart des États-Unis et de la Grande-Bretagne (ainsi que du Canada et d'Israël), commencent à suggérer de laisser la porte ouverte, moyennant surveillance, à l'utilisation du clonage humain.
Pour saisir pleinement l'enjeu d'une telle perspective, revenons tout d'abord à Dolly. Comment, exactement, a été conçue la brebis vedette du Roslin Institute ? Non pas par le clonage d'une cellule provenant d'un embryon, ni même d'un fœtus, mais par celui d'une cellule adulte. Pour être plus précis : une cellule mammaire prélevée sur une brebis vieille de six ans, qui, de fait, est ainsi devenue à la fois la sœur jumelle, la mère et le père biologique de la petite agnelle. Aucune fécondation n'a ici été nécessaire : l'embryon fut créé par une simple fusion (aidée par un choc électrique) du noyau de cette cellule adulte avec l'ovule énuclée d'une autre brebis. L'agnelle qui naquit de cette manipulation hors du commun se portait apparemment très bien. Allait-il en être de même de la brebis qu'elle allait devenir ?