Les phéromones
Les phéromones, molécules chimiques odorantes émises par diverses parties du corps, règnent en maîtresses sur la communication animale. Connues, ou du moins soupçonnées, depuis les années 1950, authentifiées avec certitude chez les insectes et les mammifères depuis une quinzaine d'années, elles régissent de près ou de loin tous les aspects majeurs du comportement animal – à commencer par leur sexualité. L'homme et la femme échappent-ils à cette commande olfactive ? On découvre aujourd'hui que les êtres humains produisent, eux aussi, des phéromones, et que celles-ci agissent à leur insu sur leur comportement sexuel. Mieux identifiées, elles pourraient aider à combattre certains cas de stérilité, ou, au contraire, fournir de nouveaux moyens de contraception.
En déposant son urine tout au long de ses frontières, le lion marque son territoire. Pour faire de même, l'ours utilise sa salive, l'antilope, une glande située près de l'œil, et le koala, les glandes sébacées de sa peau. Dans tous ces cas, les substances qui servent au marquage sont des molécules chimiques odorantes, qui servent aux individus d'une même espèce à se reconnaître entre eux. Réunies sous le terme générique de « phéromones », ces molécules jouent un rôle social essentiel dans le règne animal. Elles interviennent dans le repérage des proies et des prédateurs, facilitent chez le rat la reconnaissance entre la mère et l'enfant, et vont jusqu'à permettre, chez les espèces les plus grégaires, l'identification de clans. Enfin et surtout, elles régissent, sous pratiquement tous ses aspects, la vie sexuelle de la plupart des groupes animaux.
Sur la piste des phéromones
L'intervention de substances odorantes dans les jeux amoureux des insectes était soupçonnée depuis la fin du siècle dernier, mais il fallut attendre les années 1950 pour qu'elle soit confirmée. Afin d'identifier chimiquement l'odeur des femelles de papillons, Adolf Butenandt (prix Nobel de chimie 1939 pour ses travaux sur les hormones sexuelles) choisit le ver à soie Bombyx mori, espèce chez laquelle la femelle attire le mâle à très grande distance.
Après plusieurs années de travaux et l'utilisation de 500 000 femelles, le chercheur parvint à ses fins en 1959, et annonça la découverte d'un alcool qu'il nomma « bombykol ». Une phéromone venait d'être identifiée : la première d'une longue liste, qui, aujourd'hui encore, est loin d'être close.
Les animaux chez lesquels ces substances sont les mieux connues restent sans contexte les insectes. Faciles à élever en grandes quantités, ces derniers les produisent par le biais de glandes spécialisées, qu'il suffit de disséquer pour en analyser le contenu. Utilisées comme appâts dans des pièges à insectes, les phéromones peuvent être judicieusement mises à contribution pour lutter contre les ravageurs de cultures. Depuis les années 1970, époque à laquelle l'opinion publique commence à s'inquiéter de l'emploi massif des pesticides, des dizaines et des dizaines d'espèces de lépidoptères et de coléoptères ont ainsi été passés au crible de la chimie analytique. Et plusieurs sociétés commercialisent désormais certaines de leurs molécules odorantes, accompagnées du matériel nécessaire à leur diffusion. Au-delà de leur intérêt dans la lutte biologique, l'implication des phéromones dans la vie sexuelle des insectes constitue l'un des domaines les plus fascinants, parce que des plus universels, de la biologie comportementale. Chez la plupart des espèces, des signaux chimiques spécifiques, perçus à faible distance ou par contact, indiquent au mâle qu'il est bien en présence d'une femelle de son espèce. Certaines femelles ont également recours à l'olfaction pour opérer une forme de sélection sexuelle, et pour choisir leur partenaire en fonction de son statut ou de sa conformité à la norme. Chez la mouche drosophile, et contrairement aux mâles qui ne sont guère regardants, les femelles discriminent ainsi très précisément leurs prétendants. S'ils présentent le moindre handicap, ils n'ont aucune chance.
Pour quelques atomes de plus
Les phéromones sexuelles de la mouche Drosophila melanogaster, insecte vedette des généticiens, sont des hydrocarbures. Mâles et femelles en produisent environ quinze types différents, qu'ils portent sur leur cuticule. Les mâles fabriquent deux hydrocarbures majoritaires, qui contiennent respectivement 23 et 25 atomes de carbone. Leur rôle est de stimuler leur partenaire femelle, et, surtout, d'inhiber les ardeurs homosexuelles de leurs alter ego. Les principaux hydrocarbures des femelles présentent une structure très similaire à celle des hydrocarbures des mâles, mais comportent 27 et 29 atomes de carbone. Quelques atomes supplémentaires qui font toute la différence, puisque ces deux composés suffisent, à eux seuls, à déclencher l'excitation du mâle et à induire une vibration prolongée de ses ailes. Particulièrement efficace, l'action de ces phéromones femelles est sans doute potentialisée par d'autres hydrocarbures cuticulaires, présents en faibles quantités dans le bouquet « phéromonal ».
L'« effet mâle »
À force d'étudier les phéromones des insectes, les chercheurs commencèrent à soupçonner qu'elles jouaient aussi un rôle dans la communication des vertébrés. « Au congrès international de Physiologie de Paris, en juillet 1977, fut présentée la première étude sur le rôle de l'olfaction dans l'attraction sexuelle des mammifères », précise le biologiste Rémy Brossut, directeur de recherche au CNRS. « Pour la première fois enfin, l'étude de la communication chimique chez les mammifères était reconnue comme un enjeu de recherche scientifique. » Un enjeu dont l'intérêt n'a depuis lors cessé de croître, tant pour les éthologues et les éleveurs que pour ceux qui tentent de mieux comprendre le fonctionnement de ce mammifère très spécial qu'est l'homme.