Journal de l'année Édition 1999 1999Éd. 1999

Viagra

Pour beaucoup, l'année 1998 restera celle du Viagra. Qu'on ait eu ou pas recours à ce nouveau médicament de l'impuissance masculine, on ne peut plus ignorer son existence. Mis en vente initialement sur le marché américain, le célébrissime comprimé bleu en forme de losange et aux armes de la multinationale pharmaceutique Pfizer est arrivé à l'automne dans les pays de l'Union européenne. En huit mois les ordonnances de Viagra aux États-Unis avaient dépassé les 6 millions et, à la fin de l'année, 50 pays avaient déjà approuvé. Selon le fabriquant, dès l'an 2000, les hommes du monde entier devraient pouvoir se procurer cette molécule que proposent déjà plusieurs sites sur Internet.

Jamais sans doute, dans l'histoire de la médecine et de la pharmacie, un médicament n'avait connu aussi vite une telle notoriété mondiale, bénéficié d'un tel engouement médiatique. De ce point de vue, mais aussi parce qu'il est l'un des premiers à traiter aussi concrètement de la sexualité masculine, le Viagra constitue un phénomène de société sans précédent ; un phénomène d'autant plus intéressant qu'il inaugure, aux yeux des spécialistes, une ère où la pharmacopée se situera aux frontières de la thérapeutique et du confort, voire du plaisir.

Au sens strict, le Viagra est une molécule capable, pour la première fois par voie orale, de corriger les insuffisances et les dysfonctionnements de la fonction érectile masculine. C'est, en d'autres termes, un médicament qui ne peut être délivré que sur prescription médicale. En France, tous les titulaires d'un diplôme de docteur en médecine peuvent prescrire le Viagra, qui, contrairement à ce qui fut un moment envisagé, n'est pas réservée aux prescriptions de quelques spécialistes d'urologie, de psychiatrie ou de sexologie. D'autre part, contrairement à certaines rumeurs initialement distillées, le Viagra n'est pas pris en charge par la collectivité, Pfizer ne souhaitant pas un remboursement de son produit par les caisses de sécurité sociale. Cette stratégie peut apparaître paradoxale et incohérente dans la mesure où la firme ne cesse de rappeler que le Viagra est un médicament permettant de traiter une pathologie fréquente et en aucun cas un aphrodisiaque pouvant être utilisé par des hommes en quête de nouveaux plaisirs. Pourtant, en prenant une telle décision, la firme fait l'économie des discussions avec le gouvernement concernant la fixation du prix. Elle a aussi, dans le même temps, prévenu tout risque de restriction des prescriptions à certaines spécialités médicales. Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité, a, pour sa part, chiffré « entre 200 et 300 millions de francs » le coût des éventuelles « 500 000 visites supplémentaires » chez le généraliste, « dès cette année », liées à la prescription du Viagra. « Si ça devient un problème d'amélioration de la performance, je ne suis pas sûre que notre société y gagne », estime Mme Aubry. Tout en reconnaissant que le Viagra peut apporter « un soutien » à des personnes qui ont des difficultés, elle souligne que les rapports hommes-femmes « doivent passer par autre chose que de la chimie ».

En fait, la prescription de Viagra doit répondre à une série de critères médicaux et impose une série de précautions, faute de quoi des accidents graves, parfois mortels, peuvent survenir. En pratique, la prescription de Viagra devrait imposer une véritable consultation médicale qui ne saurait se borner à la description par le patient des symptômes de dysfonctions sexuelles dont il souffre et au respect des contre-indications (cardio-vasculaires, notamment, compte tenu des risques d'hypotension artérielle) du médicament. L'impact de la prise de Viagra sur l'équilibre du couple ne devrait pas être ignoré, pas plus que celui du possible échec de ce traitement.

Les effets secondaires indésirables sont des maux de tête, une modification de la perception de certaines couleurs comme le bleu, des courbatures, des rougeurs ou des troubles digestifs. Les autorités sanitaires américaines ont d'autre part récemment dessiné, au vu de l'ensemble des accidents recensés, le portrait-robot de l'homme pouvant mourir du Viagra. Il s'agit d'un homme entre quarante-huit et quatre-vingts ans, souffrant déjà, depuis quelques années, de diverses affections, souvent de nature cardio-vasculaire, pour lesquelles il est amené à consommer régulièrement un ou plusieurs médicaments. Il souffre aussi de troubles de la fonction érectile et souhaite pouvoir retrouver des relations sexuelles normales. Compte tenu des volumineuses prescriptions et consommations de Viagra en différents points du monde, tout indique que le nombre des victimes va aller en augmentant. Jusqu'où ? La multinationale pharmaceutique Pfizer n'entend pas élargir le nombre des contre-indications à la consommation de son Viagra. Elle estime, soutenue en cela par les autorités sanitaires américaines, que les seules précautions d'emploi portent sur l'administration concomitante de produits médicamenteux nitrés. L'une des difficultés réside ici dans le fait que ces mêmes produits peuvent être administrés aux hommes souffrant d'accidents cardiaques, les services d'urgence pouvant, quant à eux, ne pas savoir si ces patients sont ou non « sous Viagra ». Aux États-Unis, on s'organise pour faire face à de telles urgences et des numéros téléphoniques gratuits, un site Internet (www.viagra.com) se mettent en place.