Chanson
L'année chanson restera sans nul doute marquée par l'affaire NTM (Nique Ta Mère), le groupe de rap français le plus connu de l'Hexagone. Le 14 novembre, Kool Shen et Joey Starr, les deux chanteurs, sont condamnés par le tribunal correctionnel de Toulon à six mois de prison, dont trois fermes, et une interdiction de chanter en public pendant six mois. Les deux artistes étaient poursuivis pour « outrages par paroles à l'égard de l'autorité publique ». Il leur était reproché de s'en être pris verbalement, lors d'un concert à La Seyne-sur-Mer, en juin 1995, aux policiers présents dans la salle. Ce jugement, prononcé par un magistrat ancien fonctionnaire de police, suscite une forte émotion. C'est la première fois depuis très longtemps que des artistes sont condamnés pour l'exercice de leur art (même si les faits incriminés ne visent pas directement le texte d'une chanson). Par ailleurs, cette décision de justice intervient dans un département marqué par une forte présence du Front national, et quelques semaines après que le gouvernement a constaté son incapacité juridique à poursuivre Jean-Marie Le Pen pour des propos ouvertement racistes. Le garde des Sceaux, Jacques Toubon, qui demande au parquet de faire appel contre le jugement, et le ministre de la Culture, Philippe Douste-Blazy, expriment leur embarras et rappellent leur attachement à la liberté d'expression, tout en reconnaissant aux policiers le droit de protester contre toute forme d'agression verbale. L'affaire NTM en est une parce qu'elle exprime les contradictions d'une époque difficile et le fossé qui sépare souvent les jeunes, notamment ceux des banlieues, des adultes et des autorités. Tout cela n'empêche pas, au contraire, le groupe de vendre plus de CD que jamais...
La chanson est aussi une affaire d'argent
En 1984, à l'apparition du CD, il s'était vendu 2,4 milliards de supports (vinyles, compacts et K7) dans le monde. Onze ans plus tard, le chiffre est passé à 3,8 milliards. Le CA des marchands de musique a augmenté dans le même temps de 230 %, passant de 12 milliards de dollars à 40 milliards.
En moyenne, un CD sur dix paie les pertes des neuf autres. À l'heure où les géants de l'audiovisuel orchestrent des sorties de disques mondiales, on mesure pleinement la nécessité d'imposer des quotas dans l'Hexagone. Le gros du marché de la musique se fait sur une tranche d'âge qui a moins de vingt-cinq ans. Or l'uniformisation des goûts de la jeunesse est un fait établi. Les vagues successives du hip-hop et des autres modes musicaux se déclinent aux quatre coins du globe et les différences d'identités culturelles se réduisent de plus en plus.
La France – qui représente le cinquième marché mondial – est un cas à part, car plus de 50 % des ventes sont assurées par des artistes dits « locaux » (contre 15 % en Allemagne, par exemple). Cette singularité est accentuée par la mise en application, le 1er janvier, de la loi sur les quotas : désormais, les radios françaises (à l'exception des radios communautaires et de musique classique) sont tenues de diffuser, entre 6 h 30 et 22 h 30, au moins 40 % de chanson d'expression française. La profession se félicite globalement de ce texte mais craint toutefois qu'il desserve des artistes, notamment africains, qui ne s'expriment pas nécessairement en français, tout en rentrant dans la sphère culturelle francophone.
Malheureusement, les Sanson, Cabrel et autres Hallyday s'exportent mal et, sans la vigilance des « gardiens des quotas », il y aurait de grands risques que la rime francophone fût, à plus ou moins long terme, condamnée aux petits labels et à une expression marginalisée. Pour attaquer le marché mondial, il faut effacer sa différence culturelle, comme l'illustre si bien la Québécoise Céline Dion, ou faire partie d'une mouvance « mode » comme Laurent Garnier, DJ français, star du monde de la techno.
Vieillissement
Un autre des effets pervers du système des quotas réside dans la difficulté que les jeunes talents ont à se faire entendre, médiatiquement parlant. Car, coincés entre la volonté politique d'imposer la langue française et un certain taux d'Audimat, les médias choisissent les valeurs sûres plutôt que les nouveautés. Pas ou peu de passages radio égale distribution restreinte. Un disque sur deux est vendu en hypermarché. Le nombre de petits disquaires indépendants a fondu en vingt ans du chiffre de 2 000 à environ 250 aujourd'hui. Un disquaire propose au public entre 25 000 et 40 000 références alors qu'une grande surface se contente d'en exposer environ 4 000... Résultat : 10 % des titres représentent 90 % des ventes !