Médecine : l'année prion
Un énigmatique agent infectieux
Lorsque, en mars 1996, un comité d'experts britanniques annonce l'existence possible d'un lien entre la « maladie de la vache folle » et la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ), le grand public découvre en même temps qu'un mystérieux agent transmissible, le prion, est soupçonné d'être à l'origine de ces graves maladies neurologiques.
La « maladie de la vache folle », autrement dit l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), la MCJ de l'homme, la tremblante du mouton et de la chèvre appartiennent toutes à un groupe d'affections caractérisées par une dégénérescence progressive du système nerveux central. Une fois les premiers symptômes déclarés, après une période d'incubation qui peut durer entre deux et quarante ans, la maladie évolue rapidement vers une issue mortelle.
Toutes les hypothèses ont été émises concernant l'agent responsable de ces maladies. Mais celle qui remporte actuellement l'adhésion d'une grande majorité de spécialistes implique des agents transmissibles non conventionnels (ATNC), strictement composés de protéines, c'est-à-dire dépourvus de matériel génétique.
L'Américain Stanley B. Prusiner et ses collaborateurs de l'université de San Francisco ont montré, à la fin des années 70, qu'il y a dans le cerveau des animaux atteints accumulation d'une protéine particulière, que Prusiner appela « protéine prion » ou PrP.
Depuis, on s'est rendu compte que la protéine prion, sous une forme normale non pathogène désignée par PrPc, est un composant habituel du cerveau non infecté, dont on ne connaît pas très bien la fonction. La protéine, appelée PrPsc, qui s'accumule chez les individus atteints – hommes ou bêtes – est identique sur le plan de la composition chimique, mais elle a subi un changement profond de conformation dans l'espace. Ce faisant, elle a acquis une résistance aux enzymes qui détruisent généralement les protéines. Il n'y a pas hyperproduction de la protéine PrPsc dans les cellules nerveuses mais plutôt un défaut dans sa destruction, ce qui provoque son accumulation, puis sa libération vers les autres neurones, qui sont alors tués.
Phénomène curieux, la présence de la protéine normale est nécessaire pour que l'infection ait lieu. Des souris sans PrPc ne peuvent être infectées. Il semble, en fait, d'après les expériences effectuées en éprouvette, qu'en présence de PrPsc pathogène, la PrPc normale change de conformation et devienne à son tour pathogène. Mais il faut, dans ces conditions expérimentales, 50 fois plus de PrPsc pathogène que de PrPc normale. De plus, les PrPsc obtenues de cette façon ne sont pas capables, à leur tour, de transformer des PrPc.
Il est certain, aujourd'hui, que la protéine prion est fortement impliquée dans la physiopathologie des encéphalopathies spongiformes. Est-ce l'unique agent responsable ? Fait-elle partie d'un agent infectieux plus complexe ? Ces questions restent posées.
L'agent infectieux peut-il passer d'une espèce à l'autre ?
Cette question est évidemment au cœur de la problématique actuelle, à savoir la transmission de la maladie des bovins à l'homme via la consommation de viande contaminée.
Stanley Prusiner et le Suisse Charles Weissman ont montré, en 1985, que des prions pathologiques de souris injectés à d'autres souris provoquent une infection dans 100 % des cas. Mais, si l'on inocule des hamsters, seuls quelques-uns seront infectés. L'inverse est aussi vrai. La PrP semble ainsi empêcher l'infection d'une espèce par un agent infectieux provenant d'une autre espèce. Elle réglerait ce que l'on appelle la « barrière d'espèce ».
Théoriquement donc, la transmission est d'autant plus difficile que la distance génétique entre le donneur et le receveur est grande. Mais jusqu'à quel point cette barrière est-elle imperméable ? Toute la question est là.
Derniers résultats de la recherche, cette année : il y a trois ans, des chercheurs du laboratoire de Dominique Dormont au CEA ont inoculé, par injection intracrânienne, des extraits cérébraux de vaches malades à trois macaques. Les animaux ont développé des signes neurologiques, et, à l'autopsie, on a observé des lésions cérébrales comparables à celles des patients anglais décédés de la nouvelle forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Fin octobre, une équipe de chercheurs britanniques publie une étude apportant de très forts arguments en faveur de la transmission de l'agent infectieux bovin à l'homme. Le cercle se resserre.
Paludisme : un coup pour rien
Porté aux nues par les journalistes, le vaccin contre le paludisme du chercheur colombien Manuel Patarroyo a malheureusement fait la preuve de son inefficacité. Les résultats d'un essai mené en Thaïlande sur plus de 1 000 enfants, dont une moitié a reçu le vaccin et l'autre un placebo, sont effectivement très décevants : au bout de quinze mois, autant d'enfants des deux groupes avaient contracté le paludisme. Des essais avec d'autres vaccins candidats sont en cours, plus discrètement.
Un sésame pour le VIH
La présence du récepteur CD4 à la surface cellulaire ne suffit pas pour que le VIH-1 puisse pénétrer à l'intérieur de ses cibles. Il lui faut ouvrir un verrou supplémentaire, resté non identifié pendant dix ans. En quelques mois, on en a trouvé plusieurs : d'abord, la fusine (ou LSTR), qui permettrait aux souches du VIH, présentes chez le patient aux stades avancés du sida, d'infecter les lymphocytes. Ensuite, le CKR-5, situé sur les lymphocytes et les macrophages, plutôt utilisé par les souches qui apparaissent en début d'infection. D'autres, appartenant aux mêmes familles moléculaires, ont suivi. D'où de nouvelles pistes pour la compréhension du déroulement de la maladie chez le patient et, peut-être, pour la mise au point de nouveaux médicaments.
Le cholestérol a du bon
Bien sûr, il est toujours aussi mauvais pour l'artériosclérose. Mais on vient de lui découvrir une nouvelle fonction, vitale cette fois. Il semble, en effet, que le cholestérol soit indispensable pour que l'embryon se développe correctement. Il s'attache à une protéine « architecte » qui « dicte » aux cellules vers quelles structures elles doivent se différencier : ébauche de membre, tube neural, etc. Sans lui, la protéine architecte n'est plus fonctionnelle et l'embryon est très mal formé. Cette protéine est apparemment à l'œuvre dans tout le règne animal, de la mouche à l'homme en passant par la souris.
Une cornée bien moulée
Après les appareils dentaires, les moules oculaires. Grâce à des lentilles conçues sur mesure pour corriger la courbure de la cornée et à une enzyme qui rend cette dernière malléable, les ophtalmologistes disposeront peut-être bientôt d'une nouvelle technique pour corriger définitivement la myopie, l'hypermétropie ou l'astigmatisme.
Catherine Tastemain
Journaliste scientifique
Nobel 1996 : des pionniers de l'immunologie récompensés
C'est pour une découverte faite en 1974 que l'Australien Peter C. Doherty, professeur à l'université du Tennessee, et le Suisse Rolf M. Zinkernagel, directeur de l'institut d'immunologie de l'université de Zurich, viennent de recevoir la récompense suprême. À l'époque, on savait que la protection naturelle de l'organisme contre les micro-organismes était principalement assurée par deux catégories de globules blancs, les lymphocytes B et les lymphocytes T. Les premiers produisent les anticorps qui reconnaissent et éliminent certains micro-organismes. Pour les seconds, on avait compris qu'ils pouvaient reconnaître des cellules infectées par des virus et les détruire, sans endommager les cellules saines. Au cours de leurs observations, Doherty et Zinkernagel s'aperçoivent que des lymphocytes T prélevés chez des souris infectées ne sont pas capables de tuer des cellules infectées provenant d'une autre lignée de souris. Les deux chercheurs en concluent que pour être efficaces les lymphocytes T doivent aussi reconnaître, à la surface des cellules infectées, les marqueurs du « soi ». Chez un individu, chaque cellule porte de telles molécules, qui lui sont aussi personnelles que ses empreintes digitales. Il en existe plusieurs catégories et leur éventail constitue le complexe majeur d'histocompatibilité (CMH). Ainsi s'explique le rejet de greffe : le système immunitaire ne reconnaît pas les molécules du « soi » présentées par le greffon.
Aujourd'hui, les immunologistes ont déterminé ce qui se passe entre lymphocytes T et cellules infectées. Les lymphocytes T reconnaissent ces dernières lorsqu'elles portent à leur surface un fragment du virus envahisseur – un peptide – lové dans une molécule du CMH. Ces recherches ont ouvert la voie à des applications importantes dans le domaine de la vaccination. Elles ont aussi permis de mieux comprendre les phénomènes en jeu dans les maladies auto-immunes et les cancers.