Cette concentration a abouti à travers une plus forte centralisation des achats à un renforcement du pouvoir de négociation des grandes surfaces, sans pour autant faire disparaître la concurrence entre elles. Il en résulte que les distributeurs imposent leurs conditions aux producteurs, industriels et agricoles : avantages accordés n'apparaissant pas toujours sur les factures (remises de fin d'année, coopération commerciale, droits d'entrée, etc.) ; allongement des délais de paiement permettant aux distributeurs de dégager une trésorerie abondante. Les fournisseurs sont pénalisés et doivent comprimer leurs coûts et réduire leurs investissements. En outre, ils sont obligés de répercuter ces pertes virtuelles sur les agriculteurs, déjà en situation de difficulté.
Par ailleurs, entre les fermetures des petits commerces de détail et les faillites innombrables, l'emploi salarié dans l'ensemble du commerce n'a cessé de diminuer : entre 1992 et 1994, près de 80 000 emplois auraient été perdus dans le secteur.
En février 1996, le gouvernement présente un projet de loi. Le texte s'attaque aux prix cassés, en interdisant les ventes à perte, qui permettent aux grands magasins de séduire le client en consentant des baisses extrêmes sur quelques produits afin de mieux faire passer des prix plus élevés sur la majorité des autres produits. Le projet permet également aux fournisseurs de refuser de vendre si les hypers proposent des prix trop bas. Enfin, il est prévu pour les agriculteurs la possibilité de constituer des ententes afin de peser plus lourd lors des négociations avec les distributeurs. En avril, un autre texte vise à limiter cette fois l'urbanisme commercial. Le projet fait passer de 1 000 m2 à 300 le seuil à partir duquel une procédure d'autorisation préalable est nécessaire pour l'installation de tout nouveau commerce de grande surface. Le texte entend aussi limiter le nombre des élus au sein des commissions délivrant les autorisations aux nouvelles grandes surfaces, afin de limiter les risques de corruption ou, plus simplement, la tentation d'accepter toutes les demandes au nom de la création d'emplois nouveaux.
L'affaire ne fait que commencer...
OPA
Au mois de juillet 1996, le propriétaire des hypermarchés Auchan (famille Mulliez) lance une offre publique d'achat (OPA) géante et hostile sur les Docks de France (Mammouth et Atac), dont les actionnaires familiaux résistent dans un premier temps. La plus grosse fortune de France (29,3 milliards de francs selon le magazine américain Forbes) avance 15 milliards de francs pour s'affranchir des nouvelles contraintes imposées par le gouvernement pour l'ouverture de grandes surfaces. À l'issue de l'OPA, Auchan procède à la réorganisation du nouveau groupe, qui représente plus de 100 milliards de francs de chiffre d'affaires. Les cultures des deux entreprises ont été mêlées sur la base d'une organisation par métier et d'une structure régionale correspondant à la diversité des enseignes de l'ancien groupe Docks de France.
Gilbert Rullière