Les Soviétiques, bien qu'ils aient été les premiers à reconnaître la France libre, ne se départiront jamais de leur opposition à la présence française dans les réunions alliées. Et, si la rencontre de Gaulle-Staline à Moscou en décembre 1944 donne lieu à quelques pages d'anthologie dans les Mémoires de guerre, le bilan diplomatique est bien maigre. Le général reconnaît les ambitions soviétiques à l'est de l'Europe, accepte tacitement la fixation de la frontière orientale de l'Allemagne sur la ligne Oder-Neisse tout en refusant de s'engager sur la question polonaise. Quelques semaines plus tard, à Yalta, Staline confie à Roosevelt qu'il a trouvé de Gaulle « dépourvu de réalisme ».

Jusqu'à la fin de la guerre, Roosevelt regardera avec méfiance le général de Gaulle, lui préférant le général Giraud, même si la France libre bénéficie dans l'opinion publique américaine d'un préjugé plutôt favorable. La modification progressive de son attitude tient à plusieurs facteurs. Tout d'abord la participation des troupes françaises aux combats (500 000 hommes dès 1944, soit 12,5 % des effectifs engagés en Europe) ; ensuite la pression des Britanniques (de Gaulle tient en la personne d'Anthony Eden un allié indéfectible) ; enfin la fédération de la Résistance intérieure dont l'effet le plus significatif est de renforcer la légitimité démocratique du Comité français de libération nationale (successeur du CNF). Il est vrai que d'étape en étape, de Bayeux à Paris, la légitimité gaullienne est en marche. La menace de l'AMGOTT (Administration militaire alliée des territoires occupés) est écartée. Roosevelt doit donc céder et accueillir de Gaulle à Washington le 6 juillet 1944 comme un chef d'État. Le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) est reconnu le 23 septembre par les Alliés. Enfin, le 11 novembre, le GPRF est représenté à la Commission consultative européenne chargée de préparer le projet d'armistice.

Si la marge de manœuvre de la France est encore étroite – sur le plan matériel, sa dépendance à l'égard des États-Unis est totale –, il reste qu'elle a échappé au pire. Pour avoir obtenu un siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l'ONU, la France s'apprête en 1945 à reprendre sa place au sein des instances internationales.

Que faire des vaincus ?

À regarder de près le sort fait aux pays vaincus, il est difficile de ne pas être saisi d'un sentiment partagé, où la préparation le dispute à la précipitation. La volonté clairement affichée des Alliés d'imposer un carcan commun – capitulation sans condition et retour forcé à des régimes démocratiques – ne peut dissimuler que ces impératifs ont été assortis de modalités d'exécution diverses, souvent mises en œuvre sous la pression des événements. Au cours des six premiers mois de 1945, les choses semblent arrêtées, du moins en Europe. Mais, à partir du second semestre, les grands principes qui avaient présidé à la défaite des dictatures vont être peu à peu entamés au nom de la nouvelle donne géopolitique.

Si les Alliés peuvent prétendre à la victoire dès l'été 1944, il leur reste à en gérer les effets. Une affaire qui se présente sous le signe d'une triple anarchie, politique, économique et sociale. Personne n'ignore qu'il va certes falloir châtier les coupables et interdire toute velléité de reprise des combats, mais aussi ravitailler, se substituer aux structures politiques et remettre en état les circuits les plus élémentaires.

En ce qui concerne l'Allemagne, les Alliés entendent qu'elle reconnaisse à la fois sa défaite militaire, la faillite du régime nazi et la culpabilité collective du peuple allemand. Seule une capitulation sans condition – et, dans l'immédiat, son corollaire, le recours à la guerre totale – répond à cette volonté. Et pourtant... L'examen du volet concernant l'abaissement économique de l'Allemagne montre bien que les points de vue des Alliés sont quelque peu divergents, sinon contradictoires. À l'automne 1944, on envisage une désindustrialisation totale (plan Morgenthau), puis partielle. Mais les Britanniques s'y opposent, car ils ne souhaitent pas voir se réduire davantage le potentiel industriel de l'Europe. Contradictoire également, la position des Soviétiques. Leur désir d'obtenir des réparations et la restitution des biens spoliés incite plutôt au maintien d'une économie productive. Au cours du second semestre, le très net refroidissement des relations Est-Ouest incite chacune des puissances occupantes à consolider ses positions. Finalement, du désarmement économique il ne sera plus question tant il apparaît urgent, dans le cadre de l'antagonisme naissant, de remettre sur pied les structures politiques, administratives et économiques de l'Allemagne. Seules les méthodes vont varier.