Afghanistan : la guerre fratricide continue...
La guerre fratricide que se livrent depuis la chute des communistes et l'entrée des moudjahidin dans Kaboul, le 26 avril 1992, l'ancien « lion du Pamir », Ahmed Shah Massoud, devenu ministre de la Défense, et Gulbuddin Hekmatyar, le chef du mouvement islamiste dur Hezb-e-Islami, n'a toujours pas permis à l'Afghanistan, meurtri par 14 ans de guerre, de retrouver la paix.
La troisième bataille
Elle a éclaté en début d'année après l'élection contestée, le 30 décembre, du chef du parti Jamiat (islamiste modéré), le Tadjik Burhanuddin Rabbani (unique candidat), à la présidence de l'Afghanistan pour deux ans. L'élection avait été prononcée à Kaboul par une choura (assemblée traditionnelle réunissant chefs de partis, commandants, chefs de tribus et chefs religieux), mais la cérémonie avait été assimilée à « une mascarade », trois partis seulement, outre le Jamiat, parmi les neuf factions de moudjahidin ayant participé à l'élection. Les autres factions se sont opposées à la mainmise du Jamiat sur le pouvoir, le commandant Massoud (également tadjik et membre du Jamiat) ayant été nommé ministre de la Défense. Son ennemi irréductible, Gulbuddin Hekmatyar, lance donc les combats le 19 janvier. Le 9 juin, il entre dans Kaboul. Le 17 juin, il prête serment et forme son gouvernement. Trois jours plus tard, les premiers camions d'aide de l'ONU entrent dans la ville. Mais le combat pour le pouvoir entre les deux hommes n'est pas réglé. Le commandant Massoud, qui a conservé ses troupes, se présente aux Occidentaux comme le « rempart » contre le fanatisme islamique que représente Hekmatyar. Il dénonce également le jeu de l'Iran et du Pakistan, pays dans lesquels Hekmatyar vient de se rendre pour ses premières visites officielles. Massoud réclame des élections sous l'égide des Nations unies et de l'Organisation de la conférence islamique (OCI) afin d'établir un système parlementaire et démocratique.
Revirements
Mais de nombreuses données ont évolué au cours de l'année. Le général Dostom, chef des milices ouzbeks, s'est imposé au nord du pays où il contrôle désormais 5 des 18 provinces, dans une zone réputée être le grenier à blé de l'Afghanistan. Aujourd'hui à la tête de 50 000 à 80 000 hommes (dont environ 7 000 à Kaboul) réputés pour leur férocité, il peut imposer sa participation au pouvoir. Dostom a, en outre, accueilli sur son territoire plus de 100 000 réfugiés du Tadjikistan fuyant l'offensive communiste dans leur pays.
Parallèlement, la population afghane, qui avait d'abord encensé les moudjahidin, meurtris par leur combat contre l'occupation soviétique entre 1979 et 1990, rejette désormais les fauteurs de troubles et particulièrement Hekmatyar et Massoud. Même si les combats sont restés groupés autour de Kaboul, la reconstruction du pays est loin d'avoir débuté, en raison de la présence de milliers de réfugiés, de l'absence d'aide internationale et des incertitudes concernant l'avenir politique.
Enfin, la persistance des troubles a entraîné un réveil des identités ethniques et religieuses, renforcé par le jeu des puissances voisines, l'Iran et le Pakistan. Hekmatyar était le « poulain » du Pakistan pendant la guerre contre les Soviétiques et avait reçu à cet égard une grande partie de l'aide financière et militaire du Pakistan et des États-Unis. Le retour de Benazir Bhutto au pouvoir au Pakistan en octobre modérera peut-être l'influence de ce pays, Mme Bhutto semblant moins ouverte aux sirènes islamistes que son prédécesseur Nawaz Sharif. Reste que le Pakistan doit encore gérer près de 2 millions de réfugiés afghans sur son territoire. Plusieurs milliers de réfugiés sont également encore installés en Iran. L'Afghanistan reste donc une cible de choix pour la propagation d'un islamisme dur.
L'Asie centrale menacée l'éclatement, revue « Autrement », série Monde no 64, 253 p.
Caroline Puel
Journaliste à Libération