Moyen-Orient : tensions et apaisements
L'Irak ayant déployé des missiles sol-air dans la « zone d'exclusion aérienne » instituée par l'ONU au sud du 32e parallèle, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne et la Russie lancent, le 6 janvier, un ultimatum à Bagdad. Le 10 janvier, quelque 200 soldats irakiens pénètrent en territoire koweïtien pour s'emparer de missiles abandonnés par leur armée à la fin de la guerre du Golfe. Le 13 janvier, des sites de missiles, situés à proximité du 32e parallèle, sont attaqués par les trois aviations occidentales. Le 17 janvier, les Américains, seuls cette fois, bombardent des installations industrielles « liées au programme nucléaire irakien », dans la banlieue de Bagdad. À la veille de la passation de pouvoir à Washington, le président Saddam Hussein propose, comme un test, un cessez-le-feu unilatéral aux États-Unis et à leurs alliés. L'espoir d'un changement de l'attitude américaine est vite déçu. Bill Clinton endosse aussitôt la politique de fermeté de son prédécesseur. En vigueur depuis plus de deux ans et demi, l'embargo contre l'Irak est confirmé, alors même qu'il commence juste à produire pleinement ses effets. Certes, la reconstruction des ponts, ainsi que le rétablissement de l'eau, de l'électricité et du téléphone impressionnent. Mais la hausse vertigineuse des prix de tous les produits, consécutive à l'embargo, entraîne un développement de la corruption et de la criminalité qui pèse lourdement sur le moral de la population. Le reste de l'année s'écoule, ponctué de tensions entre les autorités et les inspecteurs de l'ONU, souvent empêchés d'accéder aux sites sensibles. À chaque fois, le gouvernement irakien finit par céder. Il refuse, par contre, de reconnaître le tracé définitif de la frontière avec le Koweït, adopté le 27 mai par le Conseil de sécurité de l'ONU. Les autorités koweïtiennes ont fait savoir qu'elles comptaient ériger une digue de sable, creuser une tranchée, poser 1,3 million de mines et instituer une surveillance électronique tout au long des 130 kilomètres de frontière avec leur voisin.
En Iran, sur fond de marasme économique, l'année a commencé difficilement pour le président Ali Akbar Hachemi Rafsandjani. Débarrassé des éléments radicaux à l'issue des élections de mai 1992, le Parlement, dominé par les religieux conservateurs, avec l'appui tacite du Guide Ali Khamenei, freine les réformes économiques voulues par le chef de l'État, dont la position paraît affaiblie ; mais le Guide, à son tour, se sent menacé par l'influence grandissante de l'ayatollah Montazeri. Ancien dauphin de Khomeiny, tombé en disgrâce, celui-ci s'est retiré dans la ville religieuse de Qom, où ses enseignements attirent un nombre croissant d'étudiants. En février, Khamenei le fait placer en résidence surveillée. Ces dissensions au sein de la haute hiérarchie chi'ite redonnent force à la position du président Rafsandjani, qui peut apparaître à nouveau comme un « centriste » sur l'échiquier politique iranien. Il annonce bientôt sa candidature à l'élection présidentielle du 11 juin, bénéficiant du soutien public des principaux dirigeants iraniens. Les « radicaux », conduits par l'ancien ministre de l'Intérieur Mohtachemi, décident de boycotter l'élection pour laquelle seules quatre candidatures, dont celle du président sortant, ont été acceptées par l'« Assemblée des experts ». Les choses semblent jouées d'avance, et, de fait, Rafsandjani est réélu avec 63 % des voix. Toutefois, deux chiffres étonnent : celui de l'abstention, 44 % des électeurs, et celui du score, 24 %, obtenu par le candidat des conservateurs et des marchands du bazar, Ahmad Tavakkoli. Radicaux et conservateurs ont démontré, chacun à leur façon, leur poids politique et leur capacité à freiner encore les réformes souhaitées par le président, notamment l'ouverture à l'étranger. On en a vite la preuve avec l'interpellation massive, dès la fin de juin, des femmes insuffisamment voilées ou trop maquillées, et avec la campagne contre « l'invasion culturelle occidentale », lancée par le Guide et les ayatollahs les plus conservateurs. En juillet, l'aviation iranienne et des commandos de pasdaran (gardiens de la Révolution) attaquent les villages kurdes dans la région de Souleïmanieh, au Kurdistan irakien. L'objectif des dirigeants iraniens est de dissuader les Kurdes d'Irak, pourtant soutenus par eux, d'offrir un refuge à leurs cousins d'Iran en lutte contre la République islamique. L'expérience de gouvernement autonome des Kurdes d'Irak inquiète l'Iran comme la Turquie, qui craignent une poussée du séparatisme kurde à l'intérieur de leurs frontières.