Les mystères du vivant, eux aussi, se soumettent peu à peu à la loi de la génétique. Les rythmes biologiques, par exemple, dont les rouages complexes et encore mal connus permettent aux espèces animales de percevoir la succession des saisons, l'alternance du jour et de la nuit et des variations temporelles plus infimes encore.
De ces horloges internes, on savait déjà qu'elles impliquaient une structure cérébrale, la glande pinéale, ou épiphyse, dont Descartes disait qu'elle était « le siège de l'âme ». On savait aussi que cette glande, en réponse à la quantité de lumière qu'elle perçoit, produit une hormone essentielle aux rythmes de l'organisme, la mélatonine. Deux équipes de recherche du CNRS, toutes deux situées à Strasbourg, viennent d'identifier le signal grâce auquel la glande pinéale traduit ce message reçu de l'extérieur en réponse biochimique.
Il s'agit d'un gène spécifique, dénommé CREM (pour Camp Responsive Element Modulator) et impliqué dans divers processus hormonaux. La protéine dont ce gène gouverne la synthèse agit comme un répresseur sur de nombreux autres gènes, tous connus pour ne pas être actifs durant la nuit. Parmi eux, le gène aboutissant à la production de la mélatonine. Les chercheurs tentent maintenant de créer des souris transgéniques dépourvues du gène CREM, afin d'étudier les modifications de rythmes qui en résultent.
Les clés du vieillissement seront-elles, elles aussi, livrées par l'étude de notre ADN ? Il est encore trop tôt pour l'affirmer, mais les biologistes n'excluent pas, en alliant aux progrès des manipulations génétiques une meilleure connaissance des mécanismes de la sénescence, de parvenir un jour à prolonger notre force de vie. D'autant que les généticiens américains ont découvert que la résistance au temps de notre organisme était en partie gouvernée par les « télomères », de longs filaments d'ADN qui prolongent le corps de nos chromosomes.
La longueur de ces télomères, en effet, diminue à chaque division cellulaire ; lorsqu'elle devient nulle, la cellule cesse de se diviser. Variable d'un individu à l'autre, la longueur initiale des télomères est-elle proportionnelle à l'espérance de vie ? Cet indicateur de sénescence semble en tout cas suffisamment sérieux pour que le Centre d'étude sur le polymorphisme humain (CEPH, Paris) se penche à son tour sur la question. Cet organisme français, impliqué au premier chef dans le projet Génome humain, mène depuis deux ans un programme de recherche sur le vieillissement. Baptisé Chronos, celui-ci se fonde sur une collecte de sang prélevé auprès de quelque 5 000 centenaires recensés en France. L'objectif : étudier l'état de leurs télomères, et rechercher dans leurs cellules d'éventuels gènes de longévité, susceptibles de protéger l'organisme contre les principales maladies du vieillissement.
La nécessaire protection de la biodiversité
Signée par 160 pays, en juin 1992, à l'issue de la conférence de Rio sur l'environnement, la convention sur la biodiversité aura été ratifiée fin 1993 par plus de 30 États dans le monde. Un nombre suffisant pour que ce traité, qui représente à l'échelle planétaire la première tentative de gestion des ressources vivantes, entre officiellement en vigueur. Mais la convention de Rio, édulcorée à l'extrême, de manière à ne léser ni les intérêts industriels du Nord ni les revendications justifiées du Sud, n'est encore qu'une pétition de principe. À l'heure où s'accélère la disparition des espèces tropicales, où se meurt la recherche en systématique et où les entreprises privées brevètent le vivant à tout va, il y a plus que jamais urgence à définir le cadre de son application.
Le monoxyde d'azote, molécule de l'année
Longtemps connu pour sa seule toxicité, le monoxyde d'azote, ou oxyde nitrique (formule chimique NO), a été sacré « Molécule de l'année » 1993 par la très sérieuse revue américaine Science. Découverte depuis peu par les physiologistes, cette substance, présente chez tous les mammifères, intervient en effet dans toutes les grandes fonctions de l'organisme. Impliquée dans tous les mécanismes d'action des systèmes immunitaire et cardiovasculaire, elle pourrait également jouer un rôle dans le processus de mémorisation cérébrale, voire dans l'impuissance masculine. Reste maintenant à passer de la recherche fondamentale à ses applications thérapeutiques, et à mettre au point les traitements qui, en jouant sur la production de monoxyde d'azote, permettraient de mieux réguler la bonne marche de nos fonctions vitales.
Les priorités du CNRS
Le département des sciences de la vie du CNRS, qui regroupe à lui seul un quart des moyens de l'organisme, a défini ses axes stratégiques pour les années à venir. À côté des thèmes prioritaires déjà mis en œuvre (programme interdisciplinaire IMABIO d'ingénierie des protéines, programme Cognisciences et biologie du développement), de nouveaux axes de recherche devraient être privilégiés. À commencer par la biologie cellulaire, laissée pour compte ces derniers temps au profit de la puissante génétique moléculaire. Les recherches menées sur l'environnement et la biodiversité devraient, elles aussi, être renforcées, ainsi que la biologie du vieillissement, pour laquelle un groupe de réflexion stratégique a récemment été constitué au sein du CNRS.
Darwin et la pensée moderne de l'évolution, d'Ernst Mayr. Odile Jacob.
La Biodiversité, enjeu planétaire, de Michel Chauvet et Louis Olivier. Sang de la terre, 412 p., 150 F.
Catherine Vincent
Journaliste scientifique au Monde