Ainsi Jean-Paul Gaultier, pour sa première apparition sur les écrans publicitaires, nous offre à l'occasion du lancement du parfum qui porte son nom une véritable métaphore de l'époque. « Il y a une pointe de décadence, un regard sur la décennie qui vient de se terminer, où on a festoyé. Cinq jeunes femmes nous proposent leur beauté insouciante un peu effrontée, et deux femmes plus âgées les rappellent à l'ordre », commente Jean-Baptiste Mondino, le réalisateur. Les coiffures extravagantes et la séquence de morphing – cette technique de déformation des images – où le visage de la vieille dame se transforme en celui de Gaultier contribueront également au succès du spot, puisqu'il obtiendra même un Lion d'or au Festival international du film publicitaire à Cannes.
La Twingo, la petite dernière de Renault, a résolument choisi l'axe de l'anti-morosité. « En pleine période de récession mentale et économique, elle émet de l'euphorie et des envies d'utopies. » La nouvelle voiture-cocon anti-grisaille s'oppose aux automobiles-cubes et propose à chacun sur un ton léger et un crayonné coloré « d'inventer la vie qui va avec ».
Par opposition à la féminité de la Twingo, Audi célèbre le retour d'un certain machisme autour de l'éternel thème « Argent, pouvoir et séduction ». Dans un film noir et blanc très esthétique, réalisé par Tarsem – la révélation de l'année –, Audi et son agence DDB dissertent avec élégance sur l'utilité d'avoir une belle voiture et un grand cœur pour séduire les jolies femmes.
Perrier, le temps de son film « Attaque du frigo », nous plonge dans une atmosphère très rétro. Aux airs de la Madelon, une armée de soldats de plomb de la Légion étrangère traverse un appartement pour faire exploser le réfrigérateur et rafraîchir la foule du Tour de France grâce à une pluie de Perrier. Malgré la qualité de ce spot et des précédents – « la Lionne », « les Planètes » et « John McEnroe » –, Perrier quitte son agence Ogilvy. Nestlé, nouveau propriétaire de la marque, a décidé de la confier à Publicis : joli cadeau et sacré challenge...
1993 aura été l'année de toutes les remises en question, mais le regain de créativité est bon signe pour l'avenir. La publicité retrouve ses bases. Par contre, elle cherche davantage à argumenter que simplement à séduire : nous rentrons à grandes enjambées dans le « marketing de la persuasion ».
Réalisme : « Les entreprises dépensent de l'argent pour se faire la concurrence et l'on arrive à ne plus voir la différence entre Coca-Cola et Pepsi, American Express et Visa, Hertz et Avis, Peugeot, Renault... Tout se ressemble. Les mères sont toujours blondes, les familles sont toujours heureuses, c'est une vision totalement absurde, ce n'est pas ça le monde », clame Oliviero Toscani, le réalisateur des campagnes-chocs de Benetton.
Benetton : « Le succès de Benetton (quoi qu'on pense de sa philosophie), c'est Benetton et Toscani. Ce n'est pas une agence. Et lorsqu'on voit Coca-Cola, symbole des symboles de la communication et du marketing planétaire, confier la production de 22 films à un producteur indépendant de Hollywood, et deux seulement à son agence historique McCann, on se dit que quelque chose ne fonctionne plus dans les rapports des entreprises et des agences », écrit Christian Blachas. Grand problème de la pub, certains annonceurs ne passent plus par des agences...
Jean-Michel Wagner
Directeur du planning stratégique de Lintas.