Politique de la ville : désenclaver
D'une majorité à l'autre, la politique de la Ville est, en apparence, d'une exceptionnelle continuité. Le débat sur les banlieues, que le gouvernement tient à porter devant l'Assemblée à la fin d'avril, est on ne peut plus consensuel, comme si la gravité du sujet imposait une sorte d'union nationale. Les « grands principes » de la politique de la Ville des précédents gouvernements seront donc conservés, assure Simone Veil qui a hérité de ce dossier, et le dispositif d'intervention de l'État, simplifié.
Il faut d'abord répondre à l'urgence : au début de juin, Simone Veil annonce l'affectation de 5 milliards de francs (tirés sur les 40 milliards de l'emprunt Balladur) à la politique de la Ville. L'utilisation de cette enveloppe est précisée lors du Comité interministériel pour la Ville (CIV) du 29 juillet.
Il est décidé que la moitié de la somme servira à renforcer les services publics dans les quartiers défavorisés : bureaux de poste, commissariats et services d'accueil des étrangers, maisons de justice, centres sociaux et universités. Une enquête effectuée par l'IGA et ITGAS en 1991 concluait en effet qu'au moins deux tiers des quartiers manquaient d'antennes de police, d'une mairie annexe ou d'une mission locale.
Près de 2 milliards de francs iront, par ailleurs, à la réhabilitation des logements et à l'amélioration de leur environnement dans 88 cités prioritaires. L'idée est d'essayer de désenclaver les quartiers en améliorant les moyens de communication avec le centre-ville, de redonner un peu de vie et de confort en aménageant l'espace et les bâtiments. Un effort particulier est prévu sur 11 sites : Aulnay-sous-Bois, Argenteuil, Clichy-Montfermeil, Gennevilliers, Grigny, Mantes-la-Jolie, Marseille, Tourcoing, Vénissieux, Vaulx-en-Velin et Roubaix).
Une dizaine de ministres s'engagent par ailleurs à prendre des décisions immédiates dans le cadre de leurs attributions : l'Éducation nationale prévoit, par exemple, d'envoyer davantage d'appelés dans les établissements à la rentrée scolaire et promet de bonifier les salaires des enseignants et chefs d'établissement des quartiers sensibles. Cette enveloppe d'urgence est relayée à moyen terme par le dispositif des « contrats de ville ». Ces contrats, signés entre l'État et les collectivités, concerneront 185 quartiers où vivent plus de 3 millions de personnes (dont 1 sur 3 a moins de 20 ans). L'État leur consacrera 9,5 milliards de francs – dont 800 millions de francs pour les DOM-TOM – sur la période du 11e plan (1994-1998). Un tiers de l'enveloppe ira aux Régions Île-de-France et Rhône-Alpes.
Le dispositif des contrats de ville existait déjà. La nouveauté vient du fait qu'il s'appliquera désormais en remplacement de la politique des « 400 quartiers en difficulté », lieux privilégiés depuis douze ans de la politique de développement urbain. En fusionnant d'anciennes procédures contractuelles, l'État cherche à simplifier et à resserrer son action. En fixant la durée du contrat de ville à 5 ans, le gouvernement répond à la demande de ceux qui, sur le terrain, se plaignaient de voir leur travail régulièrement remis en cause par des conventions souvent annuelles. Il cherche certes à rendre les collectivités locales plus solidaires de quartiers réputés difficiles, et que l'éparpillement de l'action politique tendait à désigner comme tels (DSQ, ZEP...). Cependant, le bilan des contrats de ville déjà existants (Toulouse, Creil, Reims...) permet de mesurer les difficultés de l'intercommunalité, notamment quand deux communes appartiennent à des courants politiques opposés. En outre, si les maires ne peuvent que se réjouir d'obtenir des financements publics supplémentaires, ils rechignent parfois à les utiliser pour des quartiers à l'image négative, au détriment de quartiers où se trouve leur électorat « naturel ».
Michel Delebarre (ancien ministre de la Ville 90-92) et Pierre-Yves Le Priol (La Croix) : le Temps des villes, Le Seuil, 1993.
Marie-Laure Colson