Laurent Fabius désigne, le 8 août, M. Bernard Tricot, ancien conseiller d'État, secrétaire général à la présidence de la République sous le général de Gaulle, pour enquêter sur les « éventuelles » implications françaises dans l'attentat d'Auckland.

Dans son rapport, remis au Premier ministre le 26 août et aussitôt rendu public, M. Bernard Tricot confirme la version donnée par le gouvernement depuis que la fausse identité des « Turenge » a été démasquée et que ceux-ci sont apparus comme le commandant Alain Mafart et le capitaine Dominique Prieur, officiers affectés au service Action de la DGSE : il y avait bien en Nouvelle-Zélande des militaires de la DGSE, chargés d'une mission de renseignement, les « Turenge », et les marins du voilier Ouvéa venus de Nouméa en Nouvelle-Zélande et repartis via Norfolk pour la Nouvelle-Calédonie, qu'ils n'atteindront jamais. Mais cette mission n'était en aucun cas une mission de sabotage.

Le rapport Tricot ne convainc ni les Néo-Zélandais, ni l'opinion internationale, ni la presse française. M. Bernard Tricot lui-même, présentant son rapport à la télévision, déclare : « Je n'exclus pas d'avoir été berné. »

L'explication officielle est mise à mal par les investigations des journalistes. Le Monde daté du 17 août titre : « Des hypothèses aux certitudes. La DGSE est à l'origine de l'attentat contre Greenpeace. » Pendant plusieurs semaines, la presse française élabore des scénarios de l'opération et décrit en détail l'organisation de la DGSE. Le 18 septembre, le journal le Monde titre : « Le Rainbow Warrior aurait été coulé par une troisième équipe de militaires français », hypothèse qui limiterait la responsabilité des époux Turenge et celle de l'équipage de l'Ouvea.

Le chef de l'État adresse au Premier ministre, le 19 septembre, une lettre pour affirmer que « cette situation ne peut plus durer ». Dès le lendemain, le ministre de la Défense, Charles Hernu, démissionne. Paul Quilès, jusque-là ministre du Logement, de l'Urbanisme et des Transports, le remplace. L'amiral Lacoste, qui refusait de répondre aux demandes qui lui avaient été faites par écrit de désigner les auteurs de l'opération, est démis de ses fonctions.

Le 24 septembre, le Premier ministre affirme qu'il est désormais possible « de cerner la vérité ». « Ce sont des agents de la DGSE qui ont coulé ce bateau ; ils ont agi sur ordre ». Le lendemain, dans Parlons France, Laurent Fabius précise qu'il a convoqué l'amiral Lacoste et Charles Hernu et qu'après ces entretiens il est convaincu « que tous les deux ont agi animés par l'idée qu'ils se faisaient de l'intérêt de notre pays ». L'« affaire » n'est pas close pour autant. Elle se développe dans trois directions principales :

La mise en cause de la DGSE

Le Conseil des ministres du 25 septembre nomme à la tête de la DGSE, en remplacement de l'amiral Lacoste, le général d'armée Imbot, jusqu'alors chef d'état-major de l'armée de terre.

La situation des officiers emprisonnés

Incarcérés en Nouvelle-Zélande, le commandant Alain Mafart et le capitaine Dominique Prieur sont inculpés par la justice néo-zélandaise d'utilisation de faux passeports, destruction par explosif et meurtre.

En définitive, la qualification de meurtre n'est pas retenue, ce qui conduit les « Turenge » à plaider coupable, pour éviter les longs débats publics de la procédure, qui aurait alors débouché sur la réunion d'un jury. Le 22 novembre, Alain Mafart et Dominique Prieur sont condamnés chacun à 10 ans de prison.

Les répercussions de politique intérieure française

L'opinion française dans sa majorité semble plus agacée par l'absence d'explication claire et convaincante des événements qu'indignée par l'opération elle-même. Le consensus est en effet toujours aussi net sur la dissuasion nucléaire.

L'opposition met plus volontiers en cause ce qu'elle estime être les dérobades du gouvernement ou la manière dont l'opération a été conçue et conduite que l'objectif de contrecarrer la campagne de Greenpeace.

La face cachée de l'iceberg

La fréquence des affaires d'espionnage apparues à la lumière suggère l'intensité de la guerre de l'ombre, dont l'essentiel reste caché. L'espion est au service du prince depuis l'origine du pouvoir politique, parce que la connaissance des intentions de l'adversaire est un atout décisif dans le jeu stratégique. À l'époque moderne, l'espionnage s'est beaucoup diversifié dans ses objectifs et dans ses méthodes. Le contre-espionnage, pour s'y opposer, s'est organisé et développé. Les services spéciaux, chargés de l'un et de l'autre, jouent auprès des gouvernements un rôle de premier plan.

1 – L'espionnage, introuvable et omniprésent

L'espionnage existe-t-il ?

Selon le Petit Larousse, l'espion (de l'italien spione) est une « personne chargée de recueillir des renseignements sur une puissance étrangère ». Mais les diplomates, et plus généralement tous les agents gouvernementaux en mission à l'étranger ne sont-ils pas chargés d'observer le pays où ils séjournent et donc d'y recueillir des renseignements ? Or, les diplomates ne sont pas considérés comme des espions, même si beaucoup d'espions se présentent comme des diplomates. Le même Petit Larousse définit l'espionnage comme un « ensemble d'actes qui, accomplis au profit de pays étrangers, ont pour but de nuire à la sécurité d'un pays ». Cette définition différencie l'espionnage de la diplomatie, qui n'est pas perçue comme une menace en elle-même. La difficulté de définir l'espion et son activité tient à ce qu'ils se distinguent plus par les méthodes que par les objectifs.