Cet intérêt nouveau risque fort d'engendrer plus de confusion que de clarté, si l'on confond l'islam populaire, que vivent quotidiennement les musulmans, notamment comme minorité dans bien des pays d'Afrique ou d'Asie, ou comme immigrés en Occident ; l'islam établi, celui des États et des législations des pays musulmans, qui est de tradition moderniste dans certains pays du Maghreb (Algérie, Tunisie, Égypte, voire Libye) ou conservatrice et même intégriste dans bien des pays du Proche-Orient ; enfin, l'islamisme militant, qui vise à abattre des pouvoirs établis jugés corrompus ou athées, et à établir ou rétablir des États conformes à la Cité de Dieu et au gouvernement exemplaire du prophète Mohammed à Médine.

Minoritaires et immigrés

Les grandes communautés islamiques établies depuis des siècles au cœur du continent indien continuent, après la séparation entre Inde et Pakistan, à ressentir la difficulté de la coexistence religieuse, notamment dans les quartiers populaires très pauvres, où la moindre provocation entraîne des heurts sanglants : 4 morts, dont un officier supérieur de police, lors de heurts entre musulmans et hindous à Calcula en mars ; sanglantes émeutes fin mai à Bombay, où la haine religieuse et la misère se conjuguent pour faire 230 morts et des milliers de sans-abri, après des affrontements entre musulmans et nationalistes hindous ; près de 10 morts encore en septembre à Hyderabad, capitale de l'Andhra Pradesh.

De même, lutte armée et répression se poursuivent à Mindanao, où les séparatistes musulmans moros affrontent l'armée du très catholique président des Philippines, Ferdinand Marcos.

En Occident, la population immigrée connaît bien souvent un regain de ferveur. Elle ressent plus souvent la religion comme partie intégrante de sa culture et de ses racines. Dans l'Hexagone, les musulmans (deuxième communauté par le nombre, avec plus de 2 millions de fidèles) comptent de 30 à 50 000 Français de souche convertis à l'islam, dont des personnalités connues (Roger Garaudy, Maurice Béjart, etc.), près de 450 000 Français musulmans rapatriés d'Afrique du Nord, 1,4 million de Maghrébins, 100 000 Turcs, 80 000 musulmans d'Afrique noire, 20 000 du Proche-Orient.

La France est le deuxième pays musulman d'Europe, après la Turquie certes, mais avant la Yougoslavie. Cette communauté est très diversifiée, majoritairement sunnite, mais de langues variées, chaque groupe recréant ses rites et ses habitudes propres (le maraboutisme et la confrérie mouride occupent une place essentielle dans la vie sociale des expatriés d'Afrique noire) et développant tout un réseau social et institutionnel : près de 80 mosquées, des centaines de salles de prières, des centaines d'associations.

Les musulmans vivant en France deviennent un enjeu politique, ballottés entre les autorités de leur pays d'origine, les organisations d'opposition (celle animée par Ben Bella dans les milieux algériens, par exemple) ou les mouvements d'inspiration islamiste. Ils sont aussi — chaque élection le montre davantage — un enjeu considérable de politique intérieure française : la marche des Beurs est, après les rassemblements pour l'école privée, la plus importante manifestation de 1984.

En terre d'islam

L'appartenance à la communauté musulmane, si elle crée des liens profonds entre les peuples qui la composent, n'empêche pas de très graves divisions entre les États. Celles-ci vont jusqu'à se traduire par des affrontements entre pèlerins iraqiens et iraniens sur le territoire sacré de La Mecque, lors du hadjdj, le grand pèlerinage, qui a lieu cette année en septembre.

Quant aux mouvements politico-religieux qui secouent le monde musulman, ils sont très divers. Mais ils participent du même élan populaire et entraînent une réponse qui est le plus souvent la répression policière ou l'intervention de l'armée.

De violents combats opposent une nouvelle fois en mars, au nord du Nigeria, à Yola, l'armée à des adeptes de la secte de Maitatsine (le prophète tué lors des sanglantes émeutes de Kano en 1980), qui se recrutent parmi les laissés-pour-compte de la croissance sauvage : le bilan dépasse 1 000 morts.