Pourquoi ce putsch ? Les officiers se sont visiblement lassés des interminables marchandages entre Ali Bhutto et les dirigeants de l'Alliance nationale pakistanaise, coalition des partis d'opposition — conservateurs et farouches défenseurs de la tradition islamique —, qui accusent le Premier ministre d'avoir truqué les élections générales du 7 mars 1977 (Journal de l'année 1976-77). L'opposition a proposé à l'armée d'être l'arbitre d'une nouvelle consultation. Cédant à cette sollicitation, les militaires se posent en redresseurs de tort, pour la troisième fois depuis l'indépendance.

Le général Zia Ul-Haq, homme fort du pays, a 54 ans. C'est un militaire professionnel, chef d'état-major de l'armée de terre. Il ne s'est jamais frotté, jusqu'à présent, aux affaires politiques. On croît un moment à ses velléités de démocrate.

Ne promet-il pas, dans son premier discours, que des élections auront lieu en octobre 1977, avant la mise en place d'un gouvernement civil ? Mais, dès le 1er octobre — 18 jours avant la date fixée pour le scrutin —, le général Haq, Administrateur en chef de la loi martiale, annonce l'ajournement de la consultation en raison du « climat de violence » qui règne dans le pays. Simple prétexte, à l'évidence, pour s'accrocher au pouvoir. L'Alliance nationale pakistanaise ayant toutes les chances de l'emporter, sans doute les militaires ont-ils redouté, en outre, que cette coalition hétéroclite ne vole en éclats au lendemain de sa victoire.

Accusations

A propos du sort d'Ali Bhutto, l'armée semble, d'abord, tergiverser. Elle refuse de céder aux demandes des leaders musulmans qui la pressent de traduire en justice le Premier ministre déchu. A. Bhutto est libéré le 28 juillet. Il est de nouveau arrêté le 3 septembre puis relâché sous caution le 13 septembre. Mais, brusquement, le ton change. Le général Haq qualifie publiquement Ali Bhutto de « génie démoniaque », de « Machiavel ayant gouverné plus ou moins à la manière de la Gestapo ». Ali Bhutto se retrouve en prison, le 17 septembre ; il est officiellement inculpé le 11 octobre par la cour de Lahore.

Inculpé de truquage électoral en mars 1977, de fausse déclaration concernant ses biens, de gaspillage des fonds publics, d'abus de pouvoir, d'utilisation frauduleuse des fonds secrets d'État, Ali Bhutto est surtout accusé d'avoir ordonné l'assassinat, en 1974, de l'un de ses adversaires politiques, Raza Kasuri ; la voiture de ce dernier essuya, à l'époque, une fusillade et le père de Raza Kasuri fut tué.

Ali Bhutto est condamné à mort le 18 mars 1978. Ironie de l'histoire, il est placé dans la cellule même où avait été enfermé en 1971 cheikh Mujibur Rahman, son rival d'alors et futur Premier ministre du Bangladesh.

Le 20 mai, neuf juges de la cour suprême de Rawalpindi commencent l'examen de la procédure d'appel interjeté par la famille d'Ali Bhutto. Cet apparent légalisme ne peut (aire oublier les irrégularités du procès antérieur, qui s'est, pour l'essentiel, tenu à huis clos.

Si les chefs de l'armée pakistanaise s'acharnent tant contre l'ancien Premier ministre, c'est qu'ils entendent briser un symbole, celui d'une personnalité prestigieuse, aux accents populistes et qui dispose encore dans le pays de nombreux partisans. Plusieurs milliers d'entre eux, d'ailleurs, sont incarcérés. Suite à un accord entre les autorités et une partie de la presse, le quotidien du parti populaire Musawaat est autorisé à reparaître le 29 mai ; sur les 150 journalistes emprisonnés, 46 sont libérés.

Pouvoir islamique

Les promesses d'élections sont oubliées. Un comité de conseillers fait office de gouvernement. Composé de 16 membres, dont 11 civils, il ne comprend aucune personnalité politique connue. La droite conservatrice et musulmane est très favorable à l'orientation strictement islamique adoptée par le nouveau pouvoir. Conformément à la loi de l'Islam, les militaires promulguent, sans tarder, un Code pénal draconien, qui rétablit notamment les châtiments corporels : flagellation et amputation de la main « par un chirurgien qualifié et sous anesthésie locale ».