Un coup cependant dans le climat euphorique du grand commerce, au dernier trimestre de 1974 : les entreprises de vente par correspondance ont fortement souffert de la grève des postes ; elles auraient perdu 600 millions de francs de chiffre d'affaires, à une période particulièrement sensible, les fêtes de fin d'année. Certaines entreprises spécialisées (vins fins, alcools, produits alimentaires de luxe comme le foie gras) ont même vu leur existence mise en danger.

L'augmentation des ventes en septembre et octobre est particulièrement sensible au niveau des grandes surfaces ; par contre, dans le petit commerce indépendant, seule la grogne indique que quelque chose ne va pas. Cette augmentation a été favorisée par l'opération frein sur les prix lancée par J.-P. Fourcade, ministre de l'Économie et des Finances, pour juguler l'inflation. Des panonceaux officiels font leur apparition sur les vitrines de ceux qui se sont engagés à pratiquer, mois par mois et durant trois mois, une baisse de 5 % sur certaines catégories d'articles. Les groupes commerciaux importants ont saisi l'occasion offerte par le ministre des Finances et l'ont utilisée largement pour des campagnes de publicité intensive sur la modicité de leurs prix. À l'opération frein sur les prix succèdent des opérations ristournes exceptionnelles ou prix coûtant plus fracassantes les unes que les autres ; ces opérations scandalisent les petits commerçants. La Direction de la concurrence et des prix, en janvier 1975, rappelle que la notion de prix coûtant, si elle ne tombe pas sous le coup de la loi, ne correspond pas à « l'intérêt bien compris des consommateurs ».

Commissions départementales

Dans le même temps, Vincent Ansquer, qui a pris la difficile succession de J. Royer au ministère du Commerce et de l'Artisanat, se trouve dans l'épineuse obligation d'appliquer la loi d'orientation du commerce votée le 29 décembre 1973 (Journal de l'année 1973-74). Le point le plus délicat de cette loi fourre-tout, passablement démagogique, est l'autorisation de créer des grandes surfaces. Le ministre tranche en dernier ressort sur les décisions prises par les commissions départementales d'urbanisme lorsque les intéressés lui présentent un recours. C'est en juillet 1974 que la commission consultative nationale est réunie pour la première fois ; le ministre Vincent Ansquer doit décider. En 1974, sur 171 recours les 145 décisions prises dans les départements lui ont été présentés. Finalement, l'ouverture de 279 magasins (1 180 055 m2 de surface de vente) est autorisée et, les projets pour 166 magasins (977 012 m2) sont refusés. Quarante-huit nouveaux hypermarchés (plus de 2 500 m2 de surface de vente) ouvrent leurs portes.

L'activité des commissions départementales ou nationales devrait se réduire, la discussion de la loi Royer puis la mise en place des commissions ayant retardé l'examen de très nombreux dossiers. La politique suivie par V. Ansquer est toujours une recherche d'équilibre, dans le respect des plans d'urbanisme.

Remous

On aurait pu penser que cette application souple et délicate de la loi d'orientation mettrait fin aux bagarres entre petits commerçants et grandes surfaces. Il n'en est rien. Le 13 août 1974, l'arrestation à Rochefort de Gérard Guillet, directeur d'un centre Leclerc, met le feu aux poudres. Arrêté pour « bris de scellés » (après l'agrandissement de 1 000 m2, sans permis de construire, de son supermarché de 2 000 m2), G. Guillet appelle à la rescousse Edouard Leclerc, le fondateur des Centres, tandis que Gérard Nicoud, fondateur du CID-UNATI (le mouvement des petits commerçants contestataires) provisoirement installé en Vendée, bat le rappel de ses troupes. La journée du procès (21 août) est l'occasion de violentes échauffourées entre les deux camps. G. Guillet est libéré deux jours plus tard et tout se calme.

Le nom seul d'Édouard Leclerc suscite chez les petits commerçants du CID-UNATI une flambée de colère, que ne provoquent ni les noms de Carrefour ou d'Euromarché, ni l'enseigne Mammouth (label de Paridoc, groupement de sociétés succursalistes). On ne compte pourtant que 12 hypermarchés Leclerc (4 % de l'ensemble) et 150 supermarchés (moins de 6 % au total). Chacun de ces magasins est la propriété de son directeur, à qui l'enseigne Centre Leclerc est concédée gratuitement, moyennant le respect d'engagements précis sur les marges bénéficiaires et la politique commerciale, É. Leclerc s'en est expliqué dans Ma vie pour un combat.