Réduit à l'essentiel, le rapport Schvartz porte contre les compagnies quatre accusations :
– du fait de leur caractère international, leurs activités échappent largement au contrôle des pouvoirs publics ;
– elles bénéficient d'un régime fiscal leur permettant de payer très peu d'impôts, voire pas du tout ;
– elles pratiquent des déclarations insincères au sujet du prix auquel leur est livré le pétrole brut par leurs sociétés mères, et faussent pour leur plus grand profit le calcul des prix de vente des produits finis ;
– elles s'entendent entre elles pour ne pas se faire concurrence, au détriment du consommateur.

Les circonstances du moment sont faites pour donner à cette enquête l'écho le plus vaste. Du fait de la hausse considérable des prix (du brut et des produits finis) consécutive à l'offensive des pays producteurs, le public est sensibilisé à tout ce qui touche aux comptes et aux profits des pétroliers. Leurs pratiques de cartel sont mises en lumière en 1971 sur une plainte déposée par un petit négociant de Marseille, Roger Bodourian ; cette plainte devait aboutir, au début de 1975, à l'inculpation des dirigeants des principales compagnies pétrolières pour entrave à la concurrence. La presse s'empare avidement du rapport Schvartz. Le parti communiste organise une grande campagne d'agitation sur le scandale des pétroliers, qui trichent avec les prix et avec le fisc, réalisent d'immenses profits sur le dos des consommateurs, etc. Les compagnies contre-attaquent, relevant méticuleusement dans le rapport Schvartz erreurs de fait, malveillances et procès d'intention.

Le prix du pétrole : à hue et à dia

La conférence de l'OPEP, réunie du 9 au 11 juin 1975 à Libreville, n'a pas pu se mettre d'accord sur la façon dont, en octobre 1975, on sortirait du gel des prix décidé à la fin de 1974 : le principe d'une augmentation destinée à corriger les effets de l'inflation, a été retenu, mais le taux n'en sera fixé que le 24 septembre 1975. À Libreville, l'OPEP a décidé également de calculer désormais les prix non plus en dollars, mais en DTS (droits de tirages spéciaux, monnaie de compte composite gérée par le FMI). Là aussi, l'objectif est de se protéger contre la dévaluation. Politiquement et symboliquement, l'atteinte au prestige du dollar est grave ; pratiquement, l'effet sur les prix est incertain, puisque l'OPEP ne choisira que le 24 septembre la référence du taux dollar DTS sur laquelle les nouveaux prix seront calés.

Complexité

En réalité (et ce n'est pas la faute du rapport, qui contient toutes les précisions et nuances utiles), la polémique exigeait que l'on simplifiât, sans doute abusivement, des situations forts complexes.

– Les avantages fiscaux dont bénéficient les compagnies sont parfaitement légaux. L'un, « la provision pour reconstitution de gisement », résulte d'une loi de 1953 ; cette provision a pour but de permettre aux industries extractives (pas seulement pétrolières) de financer la recherche de ressources nouvelles à mesure que s'épuisent les anciennes. Un autre, le « bénéfice consolidé », est institué en 1965 en faveur des compagnies françaises Elf et Total ; il permet de déduire des impôts payés en France ceux qui sont acquittés dans les pays producteurs et vise à favoriser l'expansion mondiale des deux compagnies. La troisième enfin, la « provision pour fluctuation de cours », est de droit commun (même si elle a joué un rôle capital pour les pétroliers, en raison de la hausse du brut). Au reste, ces dispositions sont calquées sur la fiscalité américaine, et ont surtout pour intention de permettre aux pétroliers français de lutter à armes égales.

– De même, les pratiques anti-concurrence peuvent se réclamer de la loi de 1928 organisant l'industrie pétrolière en France. Par cette loi, en effet, le gouvernement lui-même indique les parts de marché qu'il entend réserver à chaque compagnie (par le mécanisme juridique du « monopole délégué »). En fait, selon les produits, selon aussi les époques, les compagnies ont pratiqué entre elles tantôt une concurrence très vive, tantôt, au contraire, des ententes. On peut penser que, profitant des ambiguïtés de la loi de 1928, la tendance à l'entente l'a emporté dans la période de pléthore précédant la crise d'octobre 1973. À la suite de l'affaire Bodourian, le gouvernement avait d'ailleurs précisé par circulaire sa conception de la règle du jeu.