Mais, pour le reste, Georges Pompidou ne cesse de répéter : « Je ne suis pas, je ne veux pas être, je ne peux pas être le général de Gaulle. » Il veut gouverner et non régner, bien qu'en apparence il gouverne peu. En pratique, il a discrètement et très vite accentué le désaississement du Premier ministre ; il traite directement avec les ministres, et d'abord avec le ministre des Finances ; il ne s'est pas seulement assuré l'exclusivité de la diplomatie et de la défense, mais de tout l'essentiel, ne laissant guère au chef du gouvernement que les affaires sociales et la libéralisation de l'ORTF.

Ainsi s'écoule, sans accrocs et sans relief, 1970, année grise, terne, somme toute heureuse. Et, au lendemain de la mort de son ancien chef, Georges Pompidou monte en première ligne.

Janvier 1971-juillet 1972 : déception et durcissement

Très vite, il affirme son autorité, sa primauté absolue. Il met en place ses hommes, les pompidoliens : Jacques Chirac au poste de ministre délégué, René Tomasini au secrétariat général de l'UDR. Il oppose la majorité parlementaire, qui peut fluctuer, à la majorité présidentielle, qu'il veut seule connaître. Le malaise entre le premier et le second personnage du régime s'accroît et débouche bientôt sur un sourd conflit.

Cette année 1971 voit, de plus, fleurir ce qu'on nomme les scandales. Le Premier ministre tarde à réagir, préfère louvoyer que trancher dans le vif, et le climat se tend davantage encore. L'amalgame aidant, des fautes de gestion, comme celles qui aboutissent à l'affaire de La Villette, se confondent dans l'esprit du public avec des erreurs politiques, des abus de pouvoir, des imprudences et des cas caractérisés de trafic d'influence, voire d'escroquerie pure et simple, par exemple les combinaisons d'André Rives-Henrys, député UDR, dans un brouillard de rumeurs, d'épisodes judiciaires, d'accusations et de demi-aveux. Le comble est atteint quand, en janvier 1972, la publication de la feuille d'impôts de Jacques Chaban-Delmas par Le canard enchaîné achève d'accréditer, sans que l'intéressé d'abord réagisse, l'idée d'une mise en coupe réglée de l'État par une sorte de syndicat de propriétaires du pouvoir.

Dès lors, le sort du Premier ministre est scellé, mais le président, qui, en définitive, a repris les leviers de commande, décide d'appliquer une vieille recette gaullienne : le référendum. S'il divise l'opposition et ressoude la majorité, s'il est gagné haut la main, alors on pourra peut-être dans la foulée organiser les élections législatives prévues normalement pour le mois de mars 1973. D'où le choix d'un thème qui surprend et fait crier « Bien joué ! » : l'admission de la Grande-Bretagne dans la Communauté européenne.

La campagne, morne et mal conduite, ne mord pas sur l'opinion. Si la gauche se divise, les communistes optent pour le « non » et les socialistes pour le refus de vote, attitudes voisines. La bataille du référendum, au soir du 23 avril 1972, est gagnée au plan formel (puisque le « oui » l'emporte), mais perdue comme manœuvre stratégique en raison du nombre des abstentions (40 %) et des votes blancs (7 %).

Alors Georges Pompidou, après quelques semaines d'hésitation et de découragement, décide de contre-attaquer. Le Premier ministre insiste pour être autorisé à solliciter un vote de confiance à l'Assemblée : celle-ci lui donne quitus le 23 mai par 368 voix contre 96. Il n'en est pas moins, six semaines plus tard, prié de se retirer, ce qu'il fait d'ailleurs d'assez mauvaise grâce. Le 5 juillet, un gaulliste de bon aloi, intègre et froid, Pierre Messmer, lui succède.

Une nouvelle étape commence, où le régime, mis en question, va se placer davantage sous l'invocation de son fondateur.

Juillet 1972-décembre 1973 : intransigeance et flottements

Le retour aux sources gaulliennes du régime se manifeste dans le vocabulaire, le choix des hommes, le réveil des mythes. Pendant huit mois, tout est subordonné à la préparation des élections législatives, échéance redoutable qui met en jeu à la fois le président, le gouvernement, la majorité, l'UDR (dont le nouveau secrétaire général est Alain Peyrefitte) et même l'ORTF, confiée à un nouveau P-DG, Arthur Conte.