Finances
Un budget neutre face à la conjoncture
Le budget de l'État, en 1972-1973, a étroitement reflété les vicissitudes de la politique économique, elles-mêmes liées à l'évolution contrastée de la conjoncture. Début 1972, le chômage paraissait menaçant et le gouvernement a administré une potion expansionniste sous forme de remboursement de TVA aux entreprises et d'accélération des dépenses publiques ; il a aussi accordé des crédits variés et abaissé les taux d'intérêt ; il a poursuivi dans cette voie pendant tout le premier semestre 1972.
La relance a produit ses effets et la sombre menace du chômage s'est éloignée. Mais, symétriquement, la hausse des prix est devenue de plus en plus préoccupante, jusqu'à provoquer le plan anti-hausse de décembre 1972. C'est ce passage de la relance au freinage qui explique tant la manière dont le budget de 1972 a été exécuté que celle dont le budget de 1973 a été conçu.
La loi de finances initiale pour 1972 avait été présentée en équilibre (avec un excédent symbolique de 1 million de francs). Mais les incertitudes de la conjoncture faisaient craindre des moins-values de recettes en cours d'exécution ; de plus, en janvier 1972, précisément pour soutenir la conjoncture, le Trésor avait remboursé 1,2 milliard de francs de TVA aux entreprises, et avancé 4,5 milliards de dépenses du second au premier semestre ; par la suite, divers crédits d'équipement avaient été débloqués. On pouvait donc penser que le budget serait exécuté en déficit. En réalité, le contraire s'est produit.
Excédent
La consigne donnée en janvier d'accélérer les dépenses publiques n'a pratiquement pas été suivie d'effets, à cause de l'inertie propre à l'Administration. Du côté des recettes, la croissance effective de l'économie (+ 5,6 % en volume alors qu'on avait officiellement prévu 5,2 % et qu'on craignait de ne faire que + 4,7 %) a sécrété d'abondantes plus-values fiscales, et l'inflation davantage encore (la hausse du coût de la vie a atteint 6,9 % en 1972) : la TVA à elle seule a rapporté 6 milliards de francs de plus que prévu ! Par ailleurs, les régimes spéciaux de Sécurité sociale, subventionnés par le budget de l'État, ont accusé un déficit moindre, grâce aux cotisations prélevées sur des salaires fortement accrus.
Au total, l'excédent d'exécution du budget de 1972 a été très supérieur au million symbolique publié dans la loi de finances rectifiée : il atteint près de 2 milliards de francs. Ainsi, une nouvelle fois après 1970, le budget de la France a été exécuté en excédent : cela ne s'était pas vu depuis la stabilisation Poincaré de 1926-1928 !
Emprunt
Mais il n'en ira pas de même en 1973, loin de là. La loi de finances pour 1973 a pourtant été présentée en équilibre, elle aussi (avec excédent symbolique de 3 millions de francs) : Valéry Giscard d'Estaing s'honore de respecter cette règle de l'équilibre qu'il voulait faire inscrire dans la Constitution. Pourtant, la baisse de la TVA décidée en décembre 1972 et introduite en janvier 1973 a supprimé d'un coup 7,5 milliards de francs de recettes. Mais on ne parle pas de déficit, car ces pertes sont compensées par l'ouverture d'un compte d'allégement de la fiscalité indirecte, qui sera financé par l'emprunt.
La croissance de l'économie étant estimée à 5,8 % (en volume) par le ministère des Finances, cela entraîne une augmentation de la production en valeur (hausse des prix comprise) de l'ordre de 11,2 %. On observe que ce chiffre correspond presque exactement à la progression des masses budgétaires (11,3 %). D'où la neutralité, affirmée par V. Giscard d'Estaing, du budget par rapport à la conjoncture, et la stabilisation du poids de l'impôt sur l'économie nationale (à un peu plus d'un cinquième).
Et si l'on s'efforce d'y regarder d'un peu plus près, on constate que les dépenses définitives de l'État augmentent plus rapidement (+ 12,6 %). Cela est vrai en particulier des dépenses civiles de fonctionnement (+ 13,5 %). L'explication s'en trouve dans l'extension irréversible du nombre des agents de l'État, plus que dans la revalorisation de leurs traitements : en 1973, l'effectif des fonctionnaires dépassera 2 millions (un travailleur français sur dix) ; les plus nombreux sont les enseignants (830 000) ; viennent ensuite les agents des PTT (315 000), dorénavant plus nombreux que les militaires de carrière (287 000). On observe cependant que les dépenses militaires progressent très fortement (+ 11,7 %) : c'est leur augmentation la plus importante depuis 1959 – et elle devrait se poursuivre dans les années à venir.
Blocages
En revanche, les dépenses qui progressent le moins vite sont les dépenses civiles d'équipement (+ 9,8 %). Quand ils veulent lutter contre l'inflation et par conséquent limiter le gonflement des masses budgétaires, les gouvernements n'ont, en effet, guère la possibilité d'endiguer la croissance des dépenses de fonctionnement, des subventions et des transferts sociaux, et trouvent plus facile, politiquement, de rogner sur les équipements collectifs : le sacrifice sera moins douloureux, à court terme. Mais, à long terme, le cumul des retards pris par rapport aux besoins aboutit à une situation désastreuse.