D'où, peut-être, la ferveur témoignée tout au long de l'année pour cette activité archéologique : la contemplation des grandes rétrospectives.
Georges de La Tour
(Orangerie des Tuileries, 6 mai-25 septembre 1972). Rien n'aura manqué à l'exposition pour en faire une manifestation exemplaire ; ni la redécouverte éblouie d'un artiste riche et honoré de son vivant et tombé dans l'oubli le plus total, ni la révélation miraculeuse, au cours de la préparation de l'exposition, de toiles à l'attribution jusque-là incertaine, ni la reconnaissance chauvine d'une intelligence plastique qui aurait manqué au Caravage et aux tenebrosi romains, ni l'achat du Tricheur, pour la somme exorbitante de 10 millions de francs, par la Réunion des musées nationaux, incapable d'un semblable effort pour un des plus beaux Cézanne. Chaque tableau a sa légende gourmande et sa notice érudite, chaque élément épars ajoute au mystère de cette œuvre in progress, restreinte et souterraine, qui fait d'un peintre estimable, apprécié du prudent Louis XIII, un monstre sacré culturel et l'égal de Vélasquez.
École de Fontainebleau
(Grand Palais, 18 octobre 1972-15 janvier 1973). Prodigieuse récupération nationaliste aussi que celle de l'école de Fontainebleau, naguère déplorée comme une éclipse du génie français sous l'influence maniériste d'Italiens décadents. Sur trois étages reconstituant l'atmosphère d'un bazar, une présentation confuse à force de finesse évoque assez bien l'étonnante intrication des thèmes et des contributions, cartons, bronzes et marbres se renvoyant sans cesse leur image. Le Rosso et le Primatice sont désormais tenus pour l'aboutissement nécessaire d'une évolution commencée avec Jean Fouquet. Leurs faunes et leurs nymphes qui se poursuivent aux flancs des salières, à travers les lourdes tentures de la galerie François-Ier ou les entrelacs capricieux des panneaux de marqueterie n'arrêtent leur course débridée qu'au seuil de la rotonde des Dames à la toilette, pétrifiées dans leur théâtrale et narcissique nudité.
Soutine
(Orangerie des Tuileries, 28 avril-17 septembre 1973). À contre-courant, Soutine l'aura toujours été, à Montparnasse où il passait dédaigneux des manifestations cubistes ou surréalistes, comme aujourd'hui sur les cimaises de l'Orangerie où sa peinture viscérale éclate, indifférente à toute machinerie technique ou théorique. La violence nue, sauvage, sourd de ces chairs barbouillées de sang, des carcasses ou des volailles frémissant sous le pinceau du sacrificateur. Elle se déploie dans ces paysages frénétiques où arbres, routes et maisons se rapprochent et tourbillonnent dans un cyclone de couleurs. Massacre du réel avant le grand assassinat de la peinture que Soutine perpétra sur une large partie de sa production des années 1918-1925, la période enfiévrée de Cagnes et de Céret, et que l'exposition actuelle, par la part limitée qu'elle lui fait, semble frapper du même reniement que le peintre. Serait-ce pour mieux révéler le besoin secret d'équilibre qui traverse une vie et une œuvre à la fois cruelles et pitoyables ? Cet expressionniste exacerbé, qui noie dans un torrent sanglant les escaliers de Cagnes, le parvis de Chartres, Le bœuf écorché du musée de Grenoble comme La femme en rouge de la collection Bakwin, aspire au calme des bleus et des verts des derniers paysages de l'Yonne. Déjà dans les portraits baroques des grooms de palace, des domestiques en livrée ou des enfants de chœur, la curiosité psychologique l'emporte sur la vigueur satirique : de Courbet, qu'il admire, il retient moins l'acuité critique que le goût de la composition et la minutie descriptive. Ce monde supplicié ne serait-il que la compensation fastueuse d'un être maladivement pudique dont on ne connaît qu'un seul nu, peint en 1933 ? Explication réductrice, comme celles qui font naître cet univers halluciné de l'abus de l'alcool ou d'un mauvais estomac. Ses déformations, les distorsions qu'il fait subir aux êtres et aux objets n'ont d'autre but que de traduire les vibrations, les pulsions de la vie même. La vie qui n'est jamais si calme ni si troublée qu'on croit.
Sculptures africaines
(Orangerie des Tuileries, 8 novembre 1972-26 février 1973). C'est une source plus ancienne de notre sensibilité qu'ont retrouvée Michel Leiris, Jean Laude et Pierre Méauzé dans les sculptures africaines des collections publiques françaises. En marge des circuits didactiques et des classements géographiques, ils ont proposé un voyage au bout de l'esthétique, des formes charnues et réalistes du Bénin aux purs jeux géométriques des stèles à têtes de serpent, en passant par les grandes figurations classiques des Baoulés et des Dogons. Mais, plus que par la vibration de vie qui anime aussi bien les scènes animalières gravées sur ivoire que les masques énigmatiques et les terres cuites Sao, on reste frappé par une étonnante confusion des genres et des mondes : une statue-harpe, une femme-tambour, des oiseaux qui sont des pierres, lentes métamorphoses des êtres et des objets, dévoilement de secrètes correspondances.
Victor Brauner
(musée national d'Art moderne, 2 juin-25 septembre 1972). Une zoologie fantastique, c'est aussi ce que compose l'œuvre emblématique de Victor Brauner. De l'Autoportrait de 1931 aux Mythologies de 1965, Brauner, qui inspirait à André Breton une joie participant du sacré, célèbre les « grandes noces chimiques » non, comme il le pensait, de la science et de la pensée, mais du rêve et de l'artisanat. Ses figures hiératiques, strictement découpées, dotées d'antennes ou d'efflorescences vibratiles, forment le bestiaire démoniaque d'une nuit des Carpates.
Barnett Newman
(Grand Palais, 10 octobre-11 décembre 1972). Retenue, rigueur, méditation : autant d'attitudes qui ne sont plus guère de mise, si l'on en juge par le maigre succès d'estime de l'exposition Barnett Newman.