Journal de l'année Édition 1973 1973Éd. 1973

Grâce à ces mesures, l'année 1973 a extrêmement bien commencé. En pleine expansion, l'économie assurait la progression de l'emploi et des revenus, et voici que, par la magie de l'allégement des taux de TVA, la hausse des prix se modère. En janvier, l'indice du coût de la vie est même resté stable (cette hausse nulle étant rendue publique à la veille des élections).

Au premier trimestre de 1973, l'économie française a donc connu le meilleur des mondes possibles : une expansion accélérée et une hausse des prix ralentie. Mais les miracles n'ont lieu qu'une fois. Dès le deuxième trimestre, la France a dérivé vers les régions moins sereines de la moindre croissance et de l'inflation redoublée, sans qu'on discerne ce qui pouvait bien la faire changer de cap – toutes les économies environnantes lui faisant cortège. Certes, aucun doute n'était possible sur le maintien de l'expansion elle-même, même si son rythme avait fléchi. En 1973 encore, la croissance française est restée forte, très forte même : + 6,2 %, c'est-à-dire plus que l'objectif du VIe Plan et davantage, une nouvelle fois, que l'ensemble des partenaires étrangers. Les différentes composantes de la demande qui s'adresse à la production étaient appelées à rester dynamiques, qu'il s'agisse des achats des Français, de ceux de l'étranger ou de l'investissement des entreprises.

– La consommation des particuliers, qui absorbe près des deux tiers de la production nationale, a été alimentée par la progression régulière et substantielle des revenus et des prestations sociales. Mis à part les achats courants (l'alimentation, en particulier, de plus en plus coûteuse), on a enregistré des acquisitions de biens durables (automobiles, meubles, appareils ménagers, TV en couleurs), de logements et de maisons de campagne ainsi que de valeurs refuges plus traditionnelles (terrains, antiquités, bijoux, œuvres d'art...) ; mais celles-ci semblaient plus refléter l'aisance financière exceptionnelle d'une majorité de Français qu'une tendance à fuir la monnaie rongée par l'inflation.

– L'économie internationale, très active à la suite de la reprise américaine, a requis de brillantes exportations (les ventes à l'étranger représentent près de 16 % de la production, contre 11,5 % en 1968). Déjà, en 1972, élargissant grâce à une compétitivité accrue sa part des marchés étrangers, la France est passée du cinquième au quatrième rang parmi les grands exportateurs mondiaux. Cet effort a été poursuivi en 1973. Mais il faut noter que les importations se sont accrues plus encore, ce qui a entraîné une certaine détérioration de la balance commerciale (en volume).

– L'investissement des entreprises, qui a redémarré en 1972, a subi une accélération persistante en 1973. Faute d'équipement, les firmes sont de plus en plus nombreuses (une sur trois) à ne pouvoir produire davantage. Afin de satisfaire une demande croissante, elles sont obligées d'étendre leurs capacités de production.

Toutefois, au fur et à mesure que se réalise le plein emploi des équipements disponibles, la cadence, très rapide, de l'expansion doit nécessairement s'infléchir : la production ne peut plus s'accroître qu'au rythme du développement des capacités des entreprises, évalué à 6 % l'an. C'est ce régime de croisière que l'industrie française a adopté courant 1973 ; il est évidemment inférieur au taux de 10 % observé en début d'année, qui ne pouvait être durablement tenu.

L'expansion, tout en restant forte, s'est donc ralentie en 1973. Mais l'inflation, elle, passée l'opération baisse TVA, s'est accélérée. Comme quoi l'heureux premier trimestre n'a pas tracé un portrait ressemblant de l'année tout entière... Alors que la hausse du coût de la vie a été limitée à 0,8 % de janvier à mars, l'indice a retrouvé ensuite un rythme mensuel de 0,8 % par mois, augmentant, en avril, de 0,7 % et, en mai, de 0,9 %. Ce dernier saut a provoqué l'adoption, début juillet, de nouvelles mesures de restriction du crédit et d'encouragement à l'épargne. Il n'empêche que, sur l'année, la hausse des prix doit dépasser celle de 1972 (+ 6,9 %)... malgré les 7,5 milliards de francs abandonnés par le Trésor sur la TVA.

Salaires

Le renchérissement des produits agricoles et des cours mondiaux des matières premières est le premier responsable de cette flambée. La poussée des coûts salariaux joue aussi son rôle. En 1972, la hausse des salaires horaires a atteint 12,2 %, un record depuis 1951 (1968, l'année des accords de Grenelle, exceptée), et 1973 promet de battre ce record : au premier trimestre, le saut a été de 3,7 %. Quant au salaire minimum (SMIC), porté à 1 000 francs par mois le 1er juillet, il a bondi de plus de 20 % en un an ! Ces taux assurent au pouvoir d'achat salarial une progression tout à fait considérable : 5 % en 1972, davantage en 1973. Cela explique que les Français ressentent, malgré la hausse des prix, une certaine aisance matérielle. D'après l'Institut national de la statistique, pour la première fois dans l'histoire, la proportion des ménages qui estiment que leur situation s'est améliorée a dépassé, fin 1972, la proportion de ceux pour qui elle s'est dégradée. Tout se passe comme si, depuis le changement du rapport des forces sociales en 1968, les salaires réels variaient comme la hausse des prix. Autrement dit, l'inflation ne nuit plus aux travailleurs – alors qu'ils avaient au contraire pâti de la stabilisation des années antérieures à 1968. Les salariés ne sont d'ailleurs pas les seuls à tirer parti de l'inflation. Les profits des entreprises ont été florissants en 1972, ce qui leur a permis de financer l'effort d'équipement (le taux d'autofinancement des investissements n'a pas décru en 1972), et ils le sont demeurés en 1973, ce qui leur a rendu facilement supportables les restrictions de crédit.