Mais si l'expansion était une idée neuve en 1950, la mode est aujourd'hui de la mettre en question. A-t-elle répondu aux espoirs mis en elle ?

Rajeunissement

Ce qui saute aux yeux dans l'après-guerre, c'est, selon l'expression d'Alfred Sauvy, que « la France a repoussé ». Outre l'accroissement global, le phénomène essentiel est le rajeunissement de la population. C'est le fruit du spectaculaire redressement du taux de la natalité française dans l'après-guerre : de 15 à plus de 20 pour 1 000 habitants.

D'où, avec une mortalité par ailleurs en baisse, un accroissement démographique sans précédent depuis plus d'un siècle : la population de la France a augmenté deux fois plus en vingt-cinq ans qu'entre le milieu du XIXe siècle et la Seconde Guerre mondiale ! Cette renaissance s'explique surtout par le fait que davantage de couples acceptaient deux enfants plutôt qu'un (et, dans une moindre mesure, trois plutôt que deux).

Aujourd'hui, le taux de natalité a baissé, il reste cependant élevé (17 pour 1 000). Mais ce maintien n'est dû qu'à la progression du nombre de jeunes couples susceptibles d'avoir des enfants. En réalité, la fécondité (rapport du nombre d'enfants nés à l'effectif des femmes en âge d'en avoir) a chuté de 15 % depuis 1964... Déjà, la part des moins de 20 ans dans la population totale est passée par un maximum en 1968 (33,8 %) ; de son côté, le taux de mortalité ne diminue plus et même va augmenter à nouveau, à cause du gonflement de l'effectif des plus de 65 ans. En sens inverse, la part de la population en âge de travailler a recommencé à s'élargir et le poids des inactifs s'allège donc.

Répartition

Parmi cette population rajeunie, occupée à de nouvelles tâches, il est important de savoir comment se sont réparties les richesses produites. Les comptes de la nation ne donnent malheureusement pas de ventilation par catégorie sociale. On peut faire une constatation très générale : la part des salaires dans le revenu national s'est accrue, mais moins que celle des salariés dans la population active. Dans la lutte pour le partage du gâteau, les travailleurs auraient donc eu le dessous, en tout cas jusqu'en mai 1968. Ce qui a permis d'intensifier l'accumulation du capital.

Au sein des seuls salariés, ce sont les cadres qui ont le plus augmenté : leur nombre a doublé de 1954 à 1968. Or, de 1950 à 1970, les salaires des cadres supérieurs ont également progressé plus vite (ils ont été multipliés par 7) ; en fin de période, les employés ne gagnent au contraire que cinq fois plus. L'écart entre les salaires des cadres supérieurs et des ouvriers s'est agrandi : de 3,5 en 1950 à 4,1 en 1972 ; mais l'ouverture était maximale en 1960 (4,5) ; elle a diminué depuis 1968. L'écart relatif entre employés et ouvriers s'est réduit : de 1,3 à presque la parité.

Amélioration

Mais tous ces gains sont nominaux : la hausse des prix en a rogné la majeure partie.

En vingt-deux ans, le pouvoir d'achat du salaire horaire ouvrier a été multiplié par 7, mais le coût de la vie a triplé ! Cela correspond à une hausse moyenne de 5,2 % par an pour les prix de détail et de 9,6 % pour le salaire : le pouvoir d'achat a progressé d'environ 4 % chaque année.

Malgré la relative compression de leurs revenus salariaux et de leurs dépenses immédiates au profit de l'investissement, les Français ont utilisé ce pouvoir d'achat à améliorer leur train de vie. Dès 297 postes de télévision en service dans toute la France en 1950, on est passé à la télévision pour tous.

La mortalité infantile s'est effondrée.

La France des 1 000 milliards de PNB est un autre pays que la France pauvre de l'année 1950. Ce qui n'empêche pas l'ère de l'abondance d'être un horizon toujours fuyant...

Inflation

Un point commun, d'ailleurs, entre la situation de 1950 et celle de 1972, reste l'inflation, produit des antagonismes sociaux. La dépréciation continue de la monnaie a été le prix à payer pour cette croissance rapide. Elle l'a d'ailleurs doublement facilitée : en amputant le pouvoir d'achat, elle a contribué à freiner la consommation ; en abaissant le coût à long terme des emprunts, elle a au contraire favorisé les investissements.