On ne découvre vraiment la vie dans l'écriture que lorsqu'elle est l'image d'autre chose que d'elle-même, le reflet de l'autre, comme dans les Mémoires de Nadejda Mandelstam (Contre tout espoir) consacrés au rassemblement des moments et de l'œuvre de son mari, ou, comme le crie Ossip Mandelstam lui-même (Le bruit de temps), lorsqu'elle n'est autre que la raison rageuse de persister dans l'existence : « Ô hargne littéraire, si tu n'existais pas, avec quoi mangerais-je le sel de la terre ? »

Pablo Neruda, de son vrai nom Neftali Ricardo Reyes Bascalto (ambassadeur du Chili à Paris), est désigné comme lauréat du prix Nobel de littérature, par l'Académie suédoise, le 22 octobre 1971. Il est le second poète chilien à obtenir cette distinction, après la poétesse Gabriela Mistral (1945).

Fils de cheminot, il est né en 1904 à Parall, et passe toute son enfance à Temuco, village du sud chilien. À dix-sept ans, en publiant son premier recueil de poésies Cancion de la fiesta, il choisit son pseudonyme par admiration pour le poète tchèque Jan Neruda. Dès cette époque, il participe à toutes les luttes politiques et syndicales de son pays. Pablo Neruda commence une carrière diplomatique, en 1927, comme consul à Rangoon. Il est nommé, en 1934, à Barcelone, où il se lie d'amitié avec le poète Federico Garcia Lorca. La guerre civile — il rejoint les républicains — le déchire et lui inspire un de ses plus beaux poèmes, l'Espagne au cœur. Inscrit au parti communiste en 1945 (sa fidélité à l'Union soviétique ne s'est jamais démentie), il obtient le prix Staline de la paix en 1950 et compose le Chant général, fresque poétique dédiée aux Libertadores de l'Amérique du Sud. Son œuvre trouve son inspiration dans l'amour de la terre chilienne et dans la colère qu'il ressent devant l'oppression indienne.

L'Académie Nobel a voulu consacrer l'un des plus grands poètes vivants de langue espagnole « pour une poésie qui, avec la puissance d'une force de la nature, apporte la vie à la destinée et au rêve d'un continent ».

La poésie

Une année un peu maigre, un peu grise, au niveau des maîtres : les grands auteurs méditent ou ne sont plus. Une autre génération se réédite, se recense : Pierre Emmanuel avec Sodome, un des livres auxquels, à juste titre, il reste fidèle, ou Jean Tardieu, qui reprend des proses souvent méconnues, La part de l'ombre (1937-1967), dans une collection qui était une des rares réussites qui fassent honneur à l'édition française — Poésie nrf — et qu'on est surpris de voir abîmer : avec le brusque changement de format et un très médiocre papier.

La mort sur l'épaule, deuxième recueil de poèmes de notre collaborateur Claude Michel Cluny (Désordres avait paru en 1965), s'offre au lecteur comme l'itinéraire d'un pèlerin désenchanté. Sachant que rien ne saurait conjurer la lente mais inexorable désagrégation de l'univers, Cluny se réfugie dans une solitude contemplative. Son profond pessimisme philosophique s'accompagne toujours d'une subtile délectation devant les splendeurs de ce crépuscule des dieux. À la fois lyrique et magique, retenue, gourmande, sa phrase a la précision d'une flèche.

Des poètes maudits ?

Curieusement, la collection la moins chère du monde, Poésie 1, qui publie chacun de ses recueils à 50 000 exemplaires depuis le printemps 1972, ne cesse d'améliorer sa présentation. On doit à Poésie 1 une des quatre anthologies intéressantes de l'année, celle de La poésie française de Belgique, en deux recueils, sans compter la poursuite d'une sorte d'anthologie permanente de la nouvelle poésie (dont La poésie algérienne, présentée par Jean Sénac), capable de révéler enfin à des milliers de lecteurs des auteurs jeunes ou encore confidentiels. La barrière des prix des livres, la mauvaise diffusion des plaquettes (et de la poésie en général), l'obstacle des chapelles littéraires, le silence de la presse — qui continue d'ignorer absolument l'entreprise la plus étonnante et la plus neuve de l'édition en France —, pourraient donc, avec un peu de bonne volonté, être battus en brèche. Mais, en France, qu'on puisse faire la preuve qu'il existe au moins cinquante mille lecteurs de poésie pour cinquante millions d'habitants est un exploit. On peut alors penser qu'il n'y aura bientôt plus de poètes maudits : ceux que rassemble Pierre Seghers dans une anthologie seraient-ils les derniers ? Les raisons appartiennent à chacun, et il n'y a rien de commun entre Artaud et Salabreuil, Frédérique et Robin, Duprey et Voronca, qu'une cassure, que le simple fait d'être publiés ne guérissait pas. Utile à corriger des oublis, ce livre consacré aux Poètes maudits d'aujourd'hui, de 1946 à 1970, n'est pas une impossible réponse, mais un témoignage. Poètes maudits également, ces écrivains de langue gaélique en marge des littératures, et pour lesquels une anthologie réclame le droit à la parole. On trouvera, dans ce livre bilingue dû à Yann-Ber Piriou (Défense de cracher par terre et de parler breton) des textes nés en France d'une langue qu'on veut inconnue.