Comme ministre de l'Intérieur, le général Ramanantsoa a choisi le colonel Richard Ratsimandrava, commandant de la gendarmerie nationale, ancien du corps expéditionnaire français en Algérie, officier qui eut à briser en 1971 (Journal de l'année 1970-71) la jacquerie du sud de l'île, révolte spontanée de paysans sans terre dont Monja Joana avait pris la tête. Trois autres officiers ont des portefeuilles ministériels, et deux d'entre eux détiennent ce que l'on peut, en dépit des dénégations officielles du chef du gouvernement, appeler des postes clés : le capitaine de corvette Didier Ratsiraka au ministère des Affaires étrangères et le commandant Joël Rakotomalala au ministère de l'Information. Quant aux civils, il s'agit d'hommes inconnus non seulement à l'étranger, mais même à Madagascar, et leur rôle se limitera sans doute à expédier les affaires courantes, suivant les consignes qui leur auront été données.

Retour à l'ordre

Ainsi, ceux qui furent maîtres de la rue pendant deux journées consécutives et parvinrent à entraîner derrière eux la foule des déshérités de la capitale malgache ont paradoxalement placé leur destin entre les mains d'un régime militaire qui refuse de dire son nom et pourtant s'affirme aujourd'hui comme le seul pouvoir. Récupérée habilement, l'éphémère révolution marque une pause dont nul ne peut prévoir avec certitude la durée.

Armée nationale loyaliste, au sein de laquelle sont pourtant nombreux les officiers nostalgiques de la monarchie du XIXe siècle, gendarmerie en majorité composée d'éléments ethniques de même origine que le chef de l'État, troupes françaises décidées à ne pas intervenir mais présentes l'arme au pied, opposition bourgeoise légaliste hantée par le spectre du gauchisme, Églises protestantes et catholiques dont la hiérarchie est farouchement opposée à tout ce qui évoque le maoïsme athée ont eu raison de l'élan provoqué par les étudiants de l'université Charles-de-Gaulle qui défiaient depuis plus de trois semaines l'autorité présidentielle.

Le brasier de l'hôtel de ville de Tananarive a inquiété ceux qui répugnent à la violence. La menace d'une guerre civile entre les Mérinas des hauts plateaux et le reste de la population, que l'on qualifie de côtière, a semé la terreur dans les rangs de l'establishment malgache constitué par les gestionnaires du pouvoir, les fonctionnaires, les commerçants, les petits propriétaires fonciers ou immobiliers. Cette minorité de privilégiés déteste généralement Ph. Tsiranana mais reste plus encore attachée à la défense de ses avantages acquis. Au demeurant, ces nantis reprochent moins à Tsiranana ses positions politiques et ses options idéologiques que son origine ethnique et sa propension à privilégier les membres de sa propre tribu.

Hors des partis

L'absence de réaction du monde paysan, traumatisé par les suites de la révolution du Sud en mars 1971, et le fait que la flambée de mai soit restée circonscrite à la capitale expliquent également que cette brusque explosion de colère ait fait long feu. Il n'en demeure pas moins que Ph. Tsiranana, pourtant reconduit pour un 3e septennat le 30 janvier 1972 avec une majorité qui avait alors suscité bien des doutes, n'exerce plus qu'une autorité purement nominale.

Certains, s'estimant frustrés d'une victoire dont ils s'apprêtaient à cueillir les fruits, sont déterminés à continuer le combat. Contraints, la rage au cœur, de céder aux exigences d'une armée dont ils ont sous-estimé l'importance, leur action future se situera sans doute à l'extérieur des partis politiques traditionnels, voire contre eux.

Ébranlé par l'affaire Resampa, le parti social-démocrate qu'animait Ph. Tsiranana traverse une crise grave. Le parti du Congrès de l'indépendance (AKFM), mouvement marxiste de stricte obédience, qui a volé au secours de Ph. Tsiranana, s'est sans doute définitivement coupé des masses, en soutenant pratiquement sans réserve le gouvernement du général Ramanantsoa. Le Monima de Monja Joana n'est pas parvenu à prendre une dimension nationale, et son implantation est restée limitée au sud de l'île. Sous les feux mal éteints du mai malgache, ce sont des brasiers beaucoup plus redoutables, parce que plus ponctuels, plus limités, et donc plus imprévisibles, qui couvent.

Revendications

Le mécontentement persiste non seulement chez les étudiants, mais également dans de larges couches de la population, comme en témoignait d'ailleurs, avant même que n'éclate la crise de mai, une longue succession de tensions et de complots.