Les courses
Une année où les orages se sont succédé
Orfèvre des superlatifs et virtuose de l'hyperbole, le monde des courses entre en transes le 5 octobre, à Longchamp, après l'arrivée du Prix de l'Arc-de-Triomphe : aux deux premières places, un cheval irlandais — Levmoss — et une pouliche anglaise — Park Top. Inexistants nos favoris, balayés les meilleurs produits de notre élevage. Il n'en fallait pas plus pour qu'on parle d'un Waterloo, pour que l'événement soit considéré comme frisant la catastrophe nationale. Sous l'emphase des mots, une inquiétude bien réelle se dissimulait : n'était-ce pas le commencement de la punition — depuis longtemps prévue — pour avoir vendu à l'étranger quelques-uns de nos meilleurs étalons ?
C'était là le premier orage qui devait troubler, en 1969-70, la quiétude d'un ciel hippique ordinairement serein.
Le deuxième coup de tonnerre éclate à propos d'une affaire de jeu. À la suite du tiercé disputé dans le Prix Georges de Talhouët-Roy, à Auteuil, on apprend que les gains de quatre-vingts parieurs, s'élevant à 5 700 000 F, sont bloqués et que le PMU porte plainte contre un parieur soupçonné d'avoir enfreint son règlement. Il est, en effet, interdit de détenir plus de vingt fois la même combinaison et le jeu par personnes interposées est proscrit. Les quatre-vingts parieurs ont-ils engagé une mise de 700 000 F pour leur propre compte ou, au contraire, ont-ils agi pour le compte d'une seule personne ? La presse s'empare de l'affaire et ouvre ses colonnes aux deux adversaires, qui ne manquent pas de développer longuement leurs points de vue. La polémique tourne bientôt au match : le public se passionne et compte les points marqués par chaque camp. Le suspense va durer jusqu'à ce que la justice tranche, mais il est probable que l'instruction sera longue (aucun jugement n'a encore été rendu à propos du Prix de Bordeaux en 1962, affaire dans laquelle était impliqué le même parieur).
Les lourds grondements de cet orage commençaient à peine à s'estomper que de nouveaux coups de tonnerre prenaient le relais avec une amplitude accrue.
Upsalin, vainqueur du Prix d'Amérique 1969, est distancé par la Commission de trot de l'État de New York de sa troisième place dans les United Nations Trot pour dopage. Les analyses de salive et d'urine révèlent la présence de diphylline. Cette accusation est d'autant plus grave que le propriétaire du cheval, Henri Levesque, éleveur, entraîneur et driver, est incontestablement le numéro 1 du trotting français. Il déclare n'avoir jamais administré aucun produit dopant à ses chevaux et l'affaire se termine par un non-lieu.
Malgré tous ces remous, Upsalin s'est préparé pour le Prix d'Amérique en gagnant très facilement à Vincennes le Prix Marcel-Laurent. Mais un incident regrettable l'a empêché de défendre ses chances dans le Derby des trotteurs. Le départ était donné à l'autostart. Les chevaux, au nombre de 13, sont disposés sur deux lignes derrière les ailes de la voiture. Le tirage au sort des places attribue le 13 à Upsalin, qui se trouve en deuxième ligne derrière le demi-sang américain Snow Speed. Celui-ci ayant pris le galop, Upsalin, très gêné, met l'antérieur gauche dans la roue du sulky de Snow Speed, se débat et tombe. On n'est pas parvenu à déterminer si l'incident s'était produit quelques mètres avant le départ ou après. Avant, le départ aurait dû être repris. De toutes façons, Upsalin, commotionné, n'était plus en possession de tous ses moyens. Le Prix d'Amérique était littéralement décapité au départ.
Une affaire de substitution a provoqué beaucoup de remous dans le monde des trotteurs. Deux poulains, Alaric II et Amos II, courent chacun sous l'identité de l'autre. Ce fait divers dégénère en drame quand l'un des deux chevaux dispute une course sous sa véritable identité sans que le public soit officiellement averti du rétablissement des noms.
Le ministre de l'Agriculture ordonne une enquête qui doit aboutir au rajeunissement de structures sclérosées par une tradition devenue archaïque : les courses ont cessé d'être une petite entreprise suivie seulement par quelques milliers d'initiés. Chaque dimanche, le montant des enjeux au tiercé oscille entre 50 et 60 millions de francs : le succès de ce jeu ne se dément pas.