Au nombre des réflexions sur la littérature inspirées par une critique moderne plus soucieuse du fondement des œuvres que de leurs qualités consommables, on pourra mettre Figures II, de Gabriel Genette, et l'Entretien infini, où Maurice Blanchot paraît entretenir, en effet, ce mouvement de bascule éternel entre la parole et le silence qui lui semble l'essence de la littérature. Une analyse extrêmement poussée des formes littéraires contemporaines, un commentaire extrêmement favorable, enthousiaste plus que critique, de tout ce qui se fait de nouveau, de tout ce qui se cherche, c'est ce que l'on retrouvera dans la nouvelle édition, parfois raccourcie, mais considérablement augmentée, de l'Alittérature contemporaine, de Claude Mauriac, volume doublé par un autre livre où l'auteur essaie de rattacher des dizaines d'écrivains du passé aux tentatives d'aujourd'hui. Disons, enfin, que, fidèle à sa méthode biographique et documentaire, Henri Guillemin a suivi Pas à pas un certain nombre d'écrivains pour essayer de saisir les secrets de leur démarche.

Pas à pas, c'est un titre que l'on pourrait reprendre pour une chronique annuelle comme celle-ci. Son ambition n'est pas, faut-il le redire, de dresser un palmarès, et à quelques années de distance on y trouvera sans doute bien des lacunes et quelques excès. Mais je voudrais seulement, en m'appuyant plus ou moins sur l'opinion éclairée des contemporains, dégager quelques lignes de continuité et signaler quelques points de rupture possibles. La critique à la petite année n'a pas beaucoup plus de prétentions que la critique à la petite semaine, dont elle est le reflet. Le scribe essaie de se tromper sans peur, mais il sait que cela ne peut pas être sans reproche...

Lettres étrangères

Les lettres étrangères présentent cette année un caractère doublement dramatique : d'abord parce que la plupart des écrivains, qu'ils promènent leurs regards sur le monde extérieur ou qu'ils limitent leur curiosité à leur mythe personnel, affirment leur désir de se donner un spectacle où leur conviction que toute action humaine n'est qu'un rôle interprété avec plus ou moins de talent ; ensuite parce que toutes ces comédies tournent mal, les sociétés s'effondrent en d'illusoires complicités, l'homme y perd ses rêves et jusqu'à son identité. À prendre trop de masques, il se trouve s'être joué lui-même.

Grande-Bretagne

Considérant son œuvre passée et y reconnaissant deux périodes, l'une plus religieuse, l'autre plus politique, Graham Greene pense que les passions ou les engagements son désormais sans objet : « L'écrivain ne peut que se rabattre sur la comédie. La période absurde que nous vivons ne peut réellement être décrite qu'en termes de comédie. » Et pourtant il veut que l'on tienne son dernier roman, Voyages avec ma tante, pour « un livre triste, et même un livre tragique ». Paradoxe ? non, bien plutôt fidélité à la tradition satirique anglaise, pour laquelle la verve n'est qu'une des parures de la cruauté. Il n'est jamais trop tard pour faire son éducation. Henry Pulling, quinquagénaire résolu à consacrer ce qui lui reste de vie à cultiver des dahlias autour de l'urne contenant les cendres de sa mère, apprend de son excentrique et septuagénaire tante Augusta qu'on ne meurt que par manque de volonté de vivre.

Pour retrouver sa jeunesse, elle entreprend un pèlerinage endiablé aux lieux de ses premières amours, de Brighton, où elle avait ouvert une église pour chiens, au Paraguay, où elle renoue avec son vieux protecteur italien, abandonnant son jeune amant noir à sa passion du chanvre indien. Cette « revue », c'est l'évocation des propres voyages de Graham Greene, mais aussi des pérégrinations de ses héros, des rues balnéaires où déambule Pinkie aux salles de jeux de La Havane. D'Asuncion, où il va se consacrer à un commerce peu digne d'un gentleman, le neveu désembourgeoisé jette sur l'ennuyeuse et respectable Angleterre le regard désabusé qui est celui de son créateur : « Je ressens avec peine ce qui s'y passe actuellement et qui est probablement inévitable dans une petite île : le bruit, la pollution, la surpopulation, la destruction des villes par une architecture affreuse. »