Parallèlement, des bons de transport gratuit, des indemnités de recherche d'emploi, des indemnités de double résidence (décret du 1er mars) doivent vaincre une partie des obstacles psychologiques et financiers à la mobilité géographique.
Les moyens statistiques manquent, en effet, pour apprécier qualitativement la structure du chômage : qui chôme, les cadres ou les manœuvres ?
Pour les Pouvoirs publics, les chômeurs sont surtout des travailleurs non qualifiés. Au 1er septembre 1966, plus des deux tiers des demandeurs d'emploi (68,8 %) étalent des non-qualifiés (manœuvres 20,4 %, ouvriers spécialisés 48,4 %). Phénomène inquiétant, plus de 30 % des jeunes demandeurs d'emploi (moins de 18 ans) s'inscrivent dans le secteur manutention et stockage, où il n'y a pratiquement aucune qualification professionnelle requise, contre 25 % seulement chez les adultes.
Un phénomène nouveau
Au total, 4 sur 10 des jeunes entrant dans la vie professionnelle n'ont pas de formation sérieuse. Cependant, paradoxalement, on a pu dire qu'un manœuvre trouve, en définitive, plus facilement du travail qu'un cadre. En opposition à la thèse gouvernementale, il est apparu, fin 1966, que la part du personnel qualifié (techniciens et cadres) ne cessait de croître : 31,2 % en septembre 1966 contre 29,8 % un an auparavant et 23,5 % en 1959. Ce fait nouveau acquiert une signification symbolique. Il est lié à deux phénomènes de natures différentes : la modernisation de l'industrie française, le rajeunissement de la population française.
Dans la plupart des secteurs industriels, la modernisation passe par la concentration. Ainsi, selon l'INSEE, de 1955 à 1963, l'évolution du nombre d'entreprises a été la suivante dans les principaux secteurs de la production :
	1955	1963
transformation des métaux	350	332
fonderie	1 320	1 148
automobile	2 453	1 804
électricité	3 579	3 254
filature, tissage	7 530	5 931
Au total, pour ces cinq branches seulement, 2 763 entreprises ont disparu en huit ans. Le mouvement se poursuit et les reconversions de personnel deviennent de plus en plus difficiles sur place et dans l'ancien métier.
Les plus de quarante ans
Par un ricochet presque automatique, la priorité accordée à la jeunesse entraîne un ostracisme contre les plus de quarante et cinquante ans !
Ainsi, les plus de soixante ans, qui représentaient 25,6 % des chômeurs reconnus au 1er novembre 1965, ont vu leur pourcentage atteindre 28,6 % un an plus tard. L'extension du système des pré-retraites semble, en quelque sorte, avoir accentué le chômage, au moins sur le plan statistique !
Le pourcentage des demandes d'emploi non satisfaites et déposées depuis plus d'un mois croît régulièrement : 33,2 % en avril 1966 contre 28,2 % un an auparavant. Il semblerait qu'il s'agisse là de demandeurs de plus de soixante ans inscrits au bureau de main-d'œuvre pour des raisons juridiques comme le maintien du droit à la Sécurité sociale. Hypothèse rassurante à court terme, car elle montre que les demandes nouvelles s'adaptent plus rapidement à l'offre, mais inquiétante à long terme, car l'effet cumulatif du phénomène aboutit à accroître les charges déjà lourdes de la population active.
La France découvre, au fond, une situation qui est traditionnellement celle des États-Unis : une économie en progression régulière, mais avec un volant non négligeable de chômage. C'est là une des contraintes des sociétés industrielles : les équilibres économiques y sont sans cesse plus temporaires.
L'accélération du progrès, la modification incessante des techniques, les changements de goût des consommateurs conduisent à la disparition continuelle d'entreprises et d'emplois. La demande est bien plus mobile que l'offre. Un particulier peut en un instant décider l'achat d'une automobile ou la construction d'une maison. Il oriente ainsi le marché de l'emploi. Mais le travailleur va plus lentement pour s'adapter.
La mobilité des hommes indispensable à un nouveau bond en avant de l'économie suppose que la collectivité prenne en charge les coûts de l'homme. Cela impose un inventaire précis dans deux domaines : d'une part, l'enseignement professionnel (là, la loi de décembre 1966 a jeté les bases juridiques d'un redressement ; il reste à faire suivre l'intendance...) ; d'autre part, le logement, qui constitue l'une des rigidités les plus importantes de l'économie française (là, les perspectives sont d'autant plus sombres que le plein emploi suppose, en fait, la création d'un excédent de logements).
À travers une crise conjoncturelle, ce sont les tendances lourdes de l'économie française qui sont en jeu.