Dans le cadre des concerts du Domaine musical, qui ont traditionnellement lieu à l'Odéon-Théâtre de France, des tentatives scéniques sont possibles, et Pierre Boulez y a fait monter un opéra nouveau style, la Passion selon Sade, mystère de chambre avec tableaux vivants, du jeune compositeur italien Sylvano Bussotti, qui est à la fois son propre librettiste et son propre décorateur (il est d'ailleurs aussi un peintre de talent). L'ouvrage n'est nullement scandaleux non plus que sacrilège, ainsi que ce titre pourrait le faire craindre.

Il s'agit d'une tentative relevant dans une certaine mesure du théâtre de happening, de l'art aléatoire, ainsi que d'une conception totale de l'art lyrique — infiniment plus totale que celle de Wagner. L'idée est bonne de vouloir débarrasser le théâtre lyrique de sa logique et des dimensions de sa dramaturgie traditionnelle pour le transporter dans la logique et dans les dimensions insolites du rêve et de l'improvisation.

Efficacité dramatique

C'est évidemment là une perspective nouvelle et séduisante, mais celle-ci exigera, si on veut l'exploiter sérieusement, des moyens et une préparation dont le spectacle incertain auquel nous avons assisté n'avait évidemment pas bénéficié.

Sur le plan d'un théâtre plus traditionnel, c'est encore la province qui devait ensuite nous apporter de la nouveauté avec, à l'Opéra de Marseille, la création en France des Mines de soufre du jeune compositeur anglais Richard Rodney Bennet. Élève de Benjamin Britten et de Pierre Boulez, il semble avoir choisi une bissectrice entre ces deux tendances pour se retrouver, comme Hans Werner Henze, dans un style moyen et composite dont l'efficacité dramatique est incontestable. En dépit de ce style à double jeu, l'ouvrage est une des réussites lyriques de ces dernières années. Cette représentation témoigne également, de la part de l'Opéra de Marseille, d'un effort de relèvement digne de remarque dans un théâtre de province. Le nouveau directeur de cette maison, Bernard Lefort, possesseur d'un vrai goût et d'une vraie culture, lui-même excellent musicien, tranche avec la moyenne des directeurs d'Opéra de chez nous par des qualités intellectuelles inhabituelles dans cette profession. L'activité de son théâtre est en plein essor, tant en ce qui concerne le choix des ouvrages et la densité du répertoire, que la qualité des distributions.

Il était temps

Qualités analogues à l'Opéra de Lyon, qui montait un spectacle de caractère également exceptionnel avec une représentation du Château de Barbe-Bleue de Béla Bartók et la première française, et en français, de Erwartung, monodrame d'Arnold Schönberg. Il était temps que deux oeuvres aussi significatives des conquêtes du xxe siècle en matière de théâtre lyrique figurent normalement à une affiche, autrement que comme des curiosités exorbitantes, et prennent place dans le répertoire courant. René Leibowitz en a assuré une présentation musicale de premier ordre.

Devant cet effort réalisé par les théâtres de province, l'Opéra-Comique de Paris continue d'ignorer la musique contemporaine, mais n'en essaie cependant pas moins de sortir des routines excessives : on y a, en effet, monté le triptyque de Puccini. Seul Gianni Schicchi y avait été précédemment représenté, mais non les deux autres actes, Il tabarro et Suor Angelica. Sous l'excellente direction d'Antonio de Almeida, ces trois ouvrages se sont trouvés réunis, ainsi que l'avait voulu Puccini.

Les voix abîmées

La mise en scène assez indigente de Paul-Émile Deiber n'a pas permis aux deux derniers nommés de produire tout leur effet sur le public ; par contre, celle de Jean Le Poulain pour Gianni Schicchi a mis l'œuvre dans son meilleur mouvement. À part Andréa Guiot, Marie-Luce Bellary et Michel Roux, les quelque trente chanteurs rassemblés pour cette soirée ont été loin de montrer les qualités minimales requises. Nous touchons d'ailleurs là à un point très douloureux de la vie musicale française, la crise du chant et de l'art du chant, laquelle provient en grande partie d'une mauvaise administration artistique des théâtres nationaux et de l'état lamentable dans lequel se trouve actuellement l'enseignement du chant en France. Car il est faux de dire que les voix manquent. Simplement, on les abîme.