Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

industrielle (révolution) (suite)

L’apparition d’une force motrice autre que l’énergie humaine ou celle des animaux commence avec l’utilisation de l’eau. Mais la grande industrie moderne suppose l’existence d’une force motrice qui ne soit pas liée aux contraintes qu’impose l’eau (localisation au bord des rivières, etc.). En 1698, Thomas Savery (v. 1650-1715) présente un modèle de pompe pour épuiser l’eau des galeries des mines. Composée de deux réservoirs séparés par un robinet, la machine se remplit et se vide par le jeu de la pression atmosphérique et de la pression de la vapeur. La machine de Thomas Newcomen (1663-1729), dite « machine atmosphérique », se compose d’une chaudière en relation avec un cylindre où se meut un piston. Lorsque la vapeur avait soulevé le piston, on refroidissait le cylindre par application d’eau froide, et la pression atmosphérique le faisait redescendre. L’invention date de 1705.

Enfin, la machine qu’invente James Watt (1736-1819) en 1765 est la première à utiliser comme refroidissement la circulation de la vapeur dans un condenseur. La machine à simple effet, brevetée en 1769, diminuait des trois quarts la dépense en combustible. Mais la machine à simple effet, où la vapeur n’agissait que sur l’une des faces du piston, excellente pour les pompes, convenait mal au travail régulier des fabriques. La machine à double effet, combinée avec l’invention de la bielle et de la manivelle, transforme le mouvement rectiligne du piston en mouvement circulaire (1784). Dès lors la machine à vapeur s’applique à toutes les industries : métiers à filer et à tisser le coton, souffleries et laminoirs métallurgiques... Pour que les pistons présentent une adhérence sans frottement, les progrès de la métallurgie étaient nécessaires. La machine à vapeur devient d’un usage courant dans le textile au début du xixe s. Des industriels comme Matthew Boulton (1728-1809), constructeur des machines de Watt, généralisent l’usage des nouveaux procédés de fabrication.


L’apparition du mode de production capitaliste, concentration et modifications économiques

Le machinisme entraîne une concentration sur une échelle plus grande que celle de la manufacture : un matériel du type de celui d’Arkwright suppose une filature concentrée, avec un local unique et une force motrice centrale. La filature devient un bâtiment abritant plusieurs centaines d’ouvriers. Dans la métallurgie, chaque entreprise, débarrassée des contraintes du charbon de bois, peut comprendre plusieurs hauts fourneaux. La concentration géographique, entraînée d’abord pour le coton par la nécessité d’être proche des cours d’eau, s’accompagne après 1785 de la concentration près des gisements de houille, puis près des marchés ou des grands centres de main-d’œuvre.

En 1811, l’Angleterre a 5 millions de « mules ». Aux États-Unis, où Eli Whitney (1765-1825) invente (1793) un procédé mécanique de ramassage du coton, la production passe de 1,5 million de livres (1790) à 85 millions (1810). En 1717, les Darby produisaient 500 à 600 t de fonte par an ; en 1790, 13 000 à 14 000 t.

Les crises de surproduction surgissent (pour le coton, en 1788 et surtout avec le krach de 1793). De nombreuses contradictions nouvelles apparaissent : le luddisme, ou destruction des machines par les ouvriers auxquels elles retirent les moyens d’existence, entraîne des flambées violentes.

La population des villes s’accroît démesurément et elle se déplace vers les nouvelles zones industrielles : au xviiie s., plus des trois cinquièmes de la population anglaise était concentrée dans une bande s’étendant entre le chenal de Bristol et Londres. En 1800, la population s’est déplacée vers le nord, vers le Lancashire. Ce déplacement vers le nord et l’ouest fait doubler la population de la région de Birmingham entre 1700 et 1800. Dans le Lancashire, elle passe dans le même temps de 240 000 à 670 000 habitants. En douze ans (1788-1800), Manchester, haut lieu de l’industrie cotonnière naissante, double de population. Plus tard, les villes du fer comme Birmingnam ou Sheffield se développeront un peu plus lentement. Un nouveau paysage apparaît, celui de l’Angleterre industrielle.

L’extension de la production entraîne le développement des échanges, la conquête des marchés nationaux et internationaux : les exportations britanniques de cotonnades passent de 6 000 livres en 1680 à 200 000 livres en 1765, et à 30 millions de livres en 1850. L’école manchestérienne mène campagne à partir des années 1840 en faveur de l’unification du marché mondial.

Dans les autres pays, le capital devra d’abord briser les barrières intérieures héritées du féodalisme : en 1783, avec la formation de la république fédérée des États-Unis ; en 1795, en France ; en 1834, par la création du Zollverein en Allemagne. Le libre-échange est la condition du développement du capitalisme industriel.


Le développement inégal de la révolution industrielle

Pourquoi l’Angleterre a-t-elle bénéficié la première du mouvement industriel ? La comparaison entre la France et l’Angleterre à cette époque est instructive ; certes, l’Angleterre dispose de ressources naturelles en charbon plus importantes que celles de la France, et la science y est appliquée à l’invention technologique plus systématiquement. Mais les inventeurs français comme Vaucanson et Jacquard n’ont jamais connu le succès de leurs homologues anglais.

La France bénéficie au xviiie s. d’un capital plus abondant ; mais il est improductif, paralysé par le jeu d’une dette publique sans cesse accrue. La population française est plus importante que celle de l’Angleterre, mais la liberté de la main-d’œuvre par la destruction du système corporatif n’y sera réalisée qu’après la Révolution de 1789. En Angleterre, c’est chose faite au xviiie s. Le marché intérieur français est plus important que le marché anglais, mais le Royaume-Uni dispose du marché colonial américain. Le système des transports a connu en Angleterre une expansion bien plus rapide qu’en France : outre la supériorité maritime, le système des communications intérieures anglais est infiniment supérieur ; les canaux construits à l’initiative de James Brindley (1716-1772) permettent un acheminement à bas prix des matières premières. En 1800, il y a deux fois plus de canaux en Angleterre qu’en France. Enfin et surtout, le pouvoir politique anglais n’a cessé de favoriser l’expansion industrielle ; dès la révolution de 1688, la bourgeoisie anglaise détient les leviers du pouvoir, l’aristocratie anglaise prend sa place dans le mouvement industriel et commercial. En France, le pouvoir de l’aristocratie ne sera détruit qu’après 1789 ; par la suite, les mesures protectionnistes d’après 1848 ne feront qu’aggraver le retard relatif de la France.

La Hollande investit l’essentiel de ses capitaux à l’étranger, et son développement s’en ressentira. En Allemagne, il n’y a pas d’unité économique et politique, et aux États-Unis le mouvement industriel ne deviendra prépondérant qu’avec la seconde révolution industrielle (après 1860).